Archives de
Category: Carnet noir et rouge

Au début, c’était un carnet noir et rouge… Aujourd’hui c’est un weblog.

« Je t’ai dit avoir été heureux sous les tropiques. C’est violemment vrai. Pendant deux ans en Polynésie, j’ai mal dormi de joie, j’ai eu des réveils à pleurer d’ivresse du jour qui montait. Les dieux du jouir savent seuls combien ce réveil est annonciateur du jour et du bonheur continu que ne dose pas le jour. J’ai senti de l’allégresse couler dans mes muscles. J’ai pensé avec jouissance. […] Toute l’île venait à moi comme une femme. Et j’avais précisément, de la femme, là-bas, des dons que les pays complets ne donnent plus. »

(Victor Segalen, lettre à Henry Manceron, 1913)

Carnet noir et rouge

Carnet noir et rouge

« Ainsi, la frivolité est l’antidote le plus efficace au mal d’être ce que l’on est : par elle nous abusons le monde et dissimulons l’inconvenance de nos profondeurs. Sans ses artifices, comment ne pas rougir d’avoir une âme ? Nos solitudes à fleur de peau, quel enfer pour les autres ! Mais c’est toujours pour eux, et parfois pour nous-mêmes, que nous inventons nos apparences… »

« Point d’intolérance, d’intransigeance idéologique ou de prosélytisme qui ne révèlent le fond bestial de l’enthousiasme. »

« …l’administration, avec ses réglements — métaphysique à l’usage des singes… »

« Il me suffit d’entendre quelqu’un parler sincèrement d’idéal, d’avenir, de philosophie, de l’entendre dire “nous”, et s’en estimer l’interprète, pour que je le considère mon ennemi. […] On se méfie des finauds, des fripons, des farceurs ; pourtant, on ne saurait leur imputer aucune des grandes convulsions de l’Histoire. »

« Ce que l’esprit invente n’est qu’une série de qualifications nouvelles ; il rebaptise les éléments ou cherche dans ses lexiques des épithètes moins usées pour une même et immuable douleur. »

« L’univers transformé en un après-midi de dimanche…, c’est la définition de l’ennui. […]
La seule fonction de l’amour est de nous aider à endurer les après-midi dominicales, cruelles et incommunicables, qui nous blessent pour le reste de la semaine — et pour l’éternité. »

— Emil M. Cioran, Précis de Décomposition

(Note ajoutée en 2003 :
« L’amour en province / Ressemble un peu à un dimanche. »
— Eddy Mitchell, Sur la route de Memphis
C’est beau la poésie !)

Carnet noir et rouge

Carnet noir et rouge

« Tu as le droit de travailler, mais uniquement pour le plaisir de travailler. Tu n’as aucun droit aux fruits de ton travail. Ce n’est pas par envie des produits de ton travail que tu dois travailler. »
— Bhagavad Gita

« Dieu instruit mon cœur, non au moyen d’idées, mais au moyen de douleurs et de contradictions »
— De Caussade

« Pour saisir le monde d’aujourd’hui, nous usons d’un langage qui fut établi pour le monde d’hier. Et la vie du passé nous semble mieux répondre à notre nature, pour la seule raison qu’elle répond mieux à notre langage. »
— Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes

« Tu as construit ta paix à force d’aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les echappées vers la lumière. Tu t’es roulé en boule dans ta sécurité bourgeoise, tes routines, les rites étouffants de ta vie provinciale, tu as élevé cet humble rempart contre les vents et les marées et les étoiles. Tu ne veux point t’inquiéter des grands problèmes, tu as eu bien assez de mal à oublier ta condition d’homme. Tu n’es point l’habitant d’une planète errant, tu ne te poses point de questions sans réponse : tu es un petit-bourgeois. »
— Antoine de Saint-Exupéry, op. cit.

« La grandeur d’un métier est, peut-être, avant tout, d’unir les hommes ; il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaines. »
— Antoine de Saint-Exupéry, op. cit.

« Si nous déclarons la guerre aux bossus, nous apprendrons vite à nous exalter. Nous vengerons les crimes des bossus. Et certes les bossus aussi commettent des crimes. »
— Antoine de Saint-Exupéry, op. cit.

Sfar

Sfar

« Le dessin qui fait trop plaisir aux gens, c’est souvent qu’il manque d’intelligence parce qu’il se contente de redire ce que de nombreux dessins ont dit avant lui. Ce dessin-là relève plus du geste de l’artisan que de l’esprit du poète. Le dessin qu’apprend à rechercher le dessinateur, c’est le dessin juste. (…)
Ce dessin que j’aime, le dessin juste, est construit en intelligence avec la réalité. C’est un dessin qui exprime l’amour de la réalité et qui tente non pas de la reproduire mais plutôt de la comprendre ; le dessin juste est amour du réel. Il a l’humilité de l’explication de texte, c’est-à-dire qu’il ne s’embarasse pas de dégradés et de sfumatos qui font joli et qui font croire au détenteur de l’œuvre qu’il possède aussi le modèle. »
— Joann Sfar, Le Banquet, de Platon, illustré par.

Carnet noir et rouge

Carnet noir et rouge

« Quand il nait par mutation dans les jardins une rose nouvelle, voilà tous les jardiniers qui s’émeuvent. On isole la rose, on cultive la rose, on la favorise.
Mais il n’est point de jardinier pour les hommes. »
— Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes

« Les grandes vacances étaient arrivées. Bien que je les eusse attendues avec impatience, elles furent en réalité un de ces entractes pendant lesquels on ne sait que faire de sa personne ; bien que je les eusse désirées comme un affamé, elles devinrent pour moi un festin pénible. »
— Yukio Mishima, Confession d’un masque

« Mais ça ne sert à rien, je pense. Les jeux sont faits d’avance (et bien faits) contre tous les esthètes professionnels et nous méritons tous, sans aucun doute, les morts académiques, obscures et verbeuses qui nous sont réservées. »
— J.D. Salinger, Franny & Zooey

« C’est justement ça qui m’ennuie le plus. Savoir que je sais trop bien ce que je veux, dans mon cas l’illumination, ou la paix, au lieu de la richesse ou de la gloire ou d’un truc comme ça, ne veut pas dire que je ne suis pas aussi égoïste et aussi individualiste que les autres. Au contraire, je crois que je le suis encore plus qu’eux ! »
— J.D. Salinger, op. cit.

Franzen

Franzen

« Aujourd’hui, MTV, c’est devenu anodin, juste très ennuyeux, mais, à l’époque [le milieu des années 90], c’était vraiment un emblème de l’état d’esprit général. Vingt-quatre heures non stop de programme « cool », et quiconque le regardait ne pouvait en conclure qu’une chose, c’est qu’il ou elle n’était pas suffisamment « cool ». (…)
Il fallait donc un certain courage pour refuser d’être « cool » et aussi obligatoirement décontracté que la mode vous obligeait à l’être, mais si vous le faisiez, vous découvriez bientôt que certaines personnes vous en savaient gré. Parce qu’elles se retrouvaient dans votre refus. L’acte littéraire commence par ce refus d’appartenir. »
— Jonathan Franzen, Les Inrockuptibles n°408

Carnet noir et rouge

Carnet noir et rouge

« La science et la technologie prolifèrent autour de nous au point de nous dicter notre langage. Nous avons le choix : utiliser ce langage ou demeurer muets. »
— J.G. Ballard (Préface à Crash!)

« On peut se demander si la mode aujourd’hui très répandue de dénoncer un certain conditionnement, propagande, publicité, mass media, n’agit pas comme un exorcisme partiel qui maintient en place et hors de soupçon un envoûtement plus vaste, plus essentiel. Il est facile de railler l’outrance de France-Soir pour tomber dans le mensonge distingué du Monde. »
— Raoul Vaneigem, Traité de Savoir-Vivre à l’usage des jeunes générations

« Une certaine façon de donner dans le non-conformisme participe elle-aussi des valeurs dominantes. La conscience du pourrissement des valeurs trouve sa place dans la stratégie de la vente. La décomposition est une valeur marchande. »
— Vaneigem, op. cit.

« Laissons les autres gémir sur la méchanceté de leur époque. Moi je me plains de sa mesquinerie ; car elle est sans passion… Ma vie se résoud en une seule couleur. »
— Sören Kierkegaard (Journal du Séducteur ?)

« Je m’accommoderais fort mal d’un monde sans livres, mais la réalité n’est pas là, parce qu’elle n’y tient pas tout entière »

« C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt »

« Les pédants s’irritent toujours qu’on sache aussi bien qu’eux leur étroit métier. »

— Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien