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Author: manur

Top 2015 (#19)

Top 2015 (#19)

19. Battles – La Di Da Di

J’aime ce Battles « deuxième période » car il représente le versant populiste de la scène rock instrumentale ; entre une mélodie qui nous fait sourire et une performance qui leur assurera la couverture du (très pointu) magazine Wire, ces trois musiciens n’hésiteront jamais à choisir la première. Et puis il y a le grand blind-test perpétuel du quel instrument joue quoi ? – suite à de multiples échecs, à ce stade j’ai abandonné et je pars du principe que tout ce qui sonne synthétique est de la guitare, et tout ce qui semble guitaristique est joué aux claviers. Je ne dois pas être bien loin du compte.

Aux premières écoutes, la présence de deux ou trois morceaux chantés par des invités, comme sur le précédent album Gloss Drop, ne m’aurait pas semblé de trop. Avec le temps je me suis fait à ce parti-pris moins pop, plus resséré sur les forces intrinsèques du groupe, qui sont nombreuses. La Di Da Di, tel qu’il est, est carré, tonitruant, pétillant et plein de surprises, cérébral et jouissif.

Top 2015 (#20)

Top 2015 (#20)

20. Orso Jesenska – Effacer la mer

Cette année parmi les sorties de langue française on a beaucoup écouté, et chanté (à raison) les louanges, de l’album de Pain-Noir (disponible un peu confidentiellement en 2014, puis mieux distribué en 2015). Je suis heureux de constater dans les divers classements que j’ai parcouru, que cela n’a pas eclipsé le disque magnifique et attachant d’Orso Jesenska.

Il y a une sorte de petit miracle dans la cohérence que présente cet album, pourtant constitué de chansons stylistiquement très variées : j’y entends de sombres arpèges à la Leonard Cohen, des comptines folk, le meilleur Katerine – celui de Mes Mauvaises Fréquentations, un saxophone dissonant un peu free-jazz, des fugues indieclassical, des échos de Dominique A…

Cette diversité est sous-tendue par un travail sonore magnifique ; au casque, ce disque initialement un peu discret se met à sonner de façon incroyable. Je suis à chaque fois mis au tapis par la bouleversante trilogie qui forme le milieu de l’album, les trois chansons Exilés, Tempête et Apaisement.

Thomas van Cottom, que j’admire depuis longtemps pour son travail sur le premier album de Venus et pour son groupe Soy Un Caballo, ne s’y est pas trompé en reprenant récemment le morceau titre de ce disque avec son nouveau projet Cabane (qui promet beaucoup pour 2016).

Top 2015 (#21)

Top 2015 (#21)

21. Bill Fay – Who Is The Sender?

Je dois aux deux premiers albums de l’artiste britannique Bill Fay, sortis à l’orée des années 1970 et réédités sur CD à la fin des années 1990, une de mes premières découvertes qu’il existe une écriture pop (injustement) dans les marges, oubliée ou pas, tout aussi intéressante que l’autre, celle des Inrocks et du NME. (Ce n’est pas une révélation bouleversante aujourd’hui, mais c’était avant Napster, avant les mp3blogs, avant Spotify.)

Ces deux disques (Bill Fay et Time of the Last Persecution) sont à l’image de l’une de leurs plus étonnantes sources d’inspiration, les textes de l’intellectuel jésuite Pierre Teilhard de Chardin : sereins et attachants, mystiques et humanistes, mais au fond assez secoués derrière un voile de douce élégance rhétorique.

Puis les gens qui publient des disques ont cessé pendant quarante ans de s’intéresser à Bill Fay, du moins jusque très récemment. C’est le deuxième (magnifique) album que le désormais septuagénaire sort en trois ans. C’est un autre Bill Fay, qui n’a rien à prouver, juste quelques considérations (plutôt sévères à l’égard du monde) à nous soumettre, quelques notes à chantonner. Mais c’est aussi le même, avec ses arrangements gracieux, un sens certain de la belle mélodie, et une tendresse poignante.

Top 2015 (#22)

Top 2015 (#22)

22. John Grant – Grey Tickles, Black Pressure

C’est quitte ou double avec John Grant : Queen of Denmark était l’un des plus admirables album de songwriter de 2010, Pale Green Ghosts en 2013 n’avait pas beaucoup d’intérêt.

Avec sa livraison 2015, je retrouve le John Grant que j’apprécie et sa tessiture incroyable, d’une basse bien ancrée à des aïgus bouleversants. Tout n’y est pas exceptionnel, l’auto-dérision grinçante du bonhomme est parfois à la limite du supportable, mais globalement Grey Tickles est un bel album contenant de superbes chansons.

Top 2015 (#23)

Top 2015 (#23)

23. Lubomyr Melnyk – Rivers and Streams

Les morceaux du compositeur Lubomyr Melnyk vont par flux et reflux, construisent par nappes une émotion qui a toujours été là, se meuvent sans cesse mais avancent avec la prudence d’une caresse. Le compositeur en a posé les bases à Paris dans les années 1970, mais cette musique forme surtout un autre versant, moins connu et plus romantique, du minimalisme américain. (Les pièces pour piano de Philip Glass, qu’une vie ne me suffira probablement pas à épuiser, en constituent un complément éloquent.)

La musique de Lubomyr Melnyk émerge d’une avalanche pianistique très maîtrisée qui laisse la réverbération fondre entre elles les notes. Cette virtuosité, qui est souvent la qualité la moins intéressante d’un musicien, est ici au service d’un véritable but ; si le pianiste a développé son jeu afin d’atteindre des vitesses rares (peut-on lire) ce n’est pas par épate mais pour approcher, par cette pratique de concentration intense, ce que dans un entretien il nomme « la transcendance par le piano ». Un peu de cette transcendance passe à l’écoute, et peut-être nous rend-elle meilleurs.

Top 2015 (#24)

Top 2015 (#24)

24. Alma Forrer – Ne dis rien (EP)
https://www.youtube.com/watch?v=sQtPIrcQau8

Si nous sommes chanceux, Alma Forrer sortira un album complet en 2016.

En attendant il y a une dizaine de chansons à piocher sur ses deux EPs, splendides ouvrages d’orfèvrerie folk d’un classissisme américanophile remarquable, chantés dans un français impeccable. Personne n’évoque des artistes comme Joan Baez ou Townes Van Zandt avec autant d’élégance sobre ; bien peu écrivent dans une langue aussi poétiquement délicate.

Top 2015 (#25)

Top 2015 (#25)

25. Anonymous Choir – Sings Leonard Cohen

Le Anonymous Choir est une chorale féminine de Minneapolis dirigée par l’admirable Nona Marie Invie, qui chante lead et s’accompagne au piano. Après une fantastique relecture intégrale de After The Gold Rush il y a deux ans, ce nouvel album offre certaines des meilleures chansons de Leornard Cohen dans des arrangements pour chœur somptueux. Le concept était assez périlleux et le résultat témoigne une nouvelle fois du talent de Nona Marie Invie, par ailleurs chanteuse et compositrice du brillant groupe de folk racé Dark Dark Dark.

Aparté : Philippe Dumez porte une double responsabilité dans ce classement et dans la germination de cette idée saugrenue d’y apporter un enrichissement éditorial. D’une part il s’est enquis récemment de ce que j’écris actuellement, ce qui est flatteur et encourageant, et d’autre part je lui dois ma découverte du Anonymous Choir.

Il est impossible de résumer tout ce que Philippe nous a apporté depuis quinze ans (même les gens du Figaro le qualifient, fort justement, de « chic type ») mais si je dois choisir je vous recommande chaleureusement de lire en intégralité son blog Les Ecumeurs, qui regroupe entretiens et photographies de ces fous furieux que l’on croise à tous les concerts à Paris, ainsi que son tout récent livre Basse Fidélité, aux éditions Le Mot et le Reste. Pour en avoir lu une première version auto-éditée il y a quelques années, je peux certifier que ce Je me souviens d’un immense fan de musique est drôle, passionnant et délicieux.

Top 2015 (#26)

Top 2015 (#26)

26. Israel Nash – Israel Nash’s Silver Season

Difficile d’aborder Israel Nash sans admettre immédiatemment que oui, on ne trouve aucun musicien aujourd’hui qui ne soit plus redevable à Neil Young. Mais il faut alors ajouter aussitôt que Silver Season est un bien meilleur album que tous ceux qu’a enregistré Neil Young* depuis dix ans, même en incluant les bons (qui commencent à dater peu). Et c’est la seconde fois qu’il nous fait le coup (cf. Rain Plans).

Il n’y a personne aujourd’hui qui produise de rock cosmique si farouchement américain, qui fasse sonner chaque corde de sa guitare si nettement au milieu d’un glorieux tapage, qui compose avec une telle facilité des morceaux qui sonnent comme des classiques oubliés d’une apocryphe septième face de Decade.

* Le bon usage de la langue française voudrait qu’ici, plutôt qu’une répétition du nom de Neil Young, j’écrive The Loner ; mais si ma prose a bien des défauts, il est hors de question que je sonne comme du Philippe Manoeuvre. Si un jour j’écris un blog d’Histoire de l’art (spoiler : ça n’arrivera pas), il n’y a aucune chance que vous me voyez nommer le peintre de la Cène « Léonard », comme si nous étions de vieux potes. En revanche le seul « Johnny » digne qu’on lui consacre de l’attention dans cette courte vie est bien, comme vous vous en doutez, Johnny Cash.

Top 2015 (#27)

Top 2015 (#27)

27. Ivan & Alyosha – It’s All Just Pretend

Le premier album d’Ivan & Alyosha m’avait enchanté. De façon regrettable, la sortie en mai d’un deuxième opus m’échappa, omission que je ne réparais qu’à l’automne. Pourtant ce groupe impeccable à trois songwriters y poursuit avec une admirable constance l’écriture de belles chansons, aux arrangements folk-pop classiques et éminemment agréables. L’alto précis et séducteur de la voix de Tim Wilson est certainement leur qualité majeure.

Ces garçons sont portés par le même label que les Lumineers et je ne vois pas pourquoi ils n’accéderaient pas, peut-être à l’occasion de leur prochain disque, au même genre de succès populaire.

Top 2015 (#28)

Top 2015 (#28)

28. Widowspeak – All Yours

Une ambiance de soirée devant la cheminée, des guitares ligne claire, une basse ronronnante et la voix incroyablement chaleureuse de Molly Hamilton. Je voudrais ne pas céder à cette facilité, mais tout dans cet album sussure : Mazzy Star !

Dans ce genre assez peu fécond que me semble être la « dream pop », All Yours remporte facilement la palme de la plus belle chose sortie en 2015. Vous savez quoi écouter pour vous endormir ce soir.