C’est la saison 4 pour le Tyrion Lannister du rock indé, et Ben Folds abandonne ses chansons potaches (bien moins drôles que les vannes de The Imp) pour l’album-de-la-maturité, avec des arrangements épatants joués par l’orchestre de chambre yMusic, qui avait déjà fait des merveilles pour My Brightest Diamond. Je suis toujours surpris de la totale indifférence avec laquelle on accueille les sorties de Ben Folds de ce côté de l’Atlantique ; elle est totalement infondée.
Au passage, il se paie le luxe de terminer l’album sur un concerto pour piano de sa composition, interprété avec le Nashville Symphony, et qui est tout à fait écoutable. Respect.
Cette année fut, musicalement, une des plus satisfaisantes depuis que je garde une trace de mes admirations. Je ne peux certes pas y chercher de raisons objectives, mais peut-être est-ce en partie parce que les albums qui constituent le haut de mon classement se sont imposés plus immédiatement que les années précédentes. On ne résiste pas à l’argument de la beauté, surtout lorsqu’il se réitère à quelques semaines d’intervalles.
C’est l’une des raisons pour laquelle je m’autorise cette année à classer 30 disques, et qui plus est à tricher avec des ex-aequo à deux reprises. Ce n’est pas très sérieux de ma part.
30. Un paquet cadeau avec cinq bons albums d’indie rock anglo-saxons
Voilà, je commence mal. En trentième place, cinq disques très plaisant, creusant un sillon assez connu pour les gens de ma génération, et dans lequel il serait absurde de prétendre qu’une part de nostalgie ne joue pas. Ce fameux rock indé des années 90, ici bien réalisé, sans désir de révolution mais sincère. Il y a vingt ans, ces groupes auraient été en couverture des journaux, ils auraient été à l’affiche des festivals d’été. Aujourd’hui c’est une niche avec un passé glorieux. Je ne crois pas trop à la hiérarchie des genres implicite dans notre petit milieu. J’accepte volontiers que les albums de Kendrick Lamar ou de Arlt sont fantastiques pour ceux qui les aiment, mais je ne crois pas à une supériorité intrinsèque qu’ils auraient, à une crédibilité supérieure. Tout ce folklore est assez ridicule, au final, lorsqu’on écoute quelques pages du Sacre du Printemps, composé il y a 102 ans. Bref, je suis heureux que de tels disques continuent d’exister, que de jeunes groupes s’y emploient, et que l’on continue de composer des morceaux avec des power chords en 2015.
Hop Along – Painted Shut
S’il y a un de ces artistes à suivre, c’est certainement Frances Quinlan, qui signe ici une dizaine de morceaux vraiment très prometteurs.
Adventures – Supersonic Home
J’ai envie d’avoir leur âge et de rejoindre leur groupe, là, maintenant.
Antartigo Vespucci – Leavin’ La Vida Loca
Chris Farren et Jeff Rosenstock (qui a produit cette année un album que l’on retrouvera très haut dans ce classement) vivent à deux opposés des Etats-Unis et ont chacun leur autre, vrai, groupe. Je ne sais pas comment ils font, mais c’est le deuxième album de pépites power-pop en deux ans qui nous arrive de ces deux là.
Trust Fund – Seems Unfair
Voix de tête + pédales fuzz : what’s not to like ?
The World Is A Beautiful Place & I Am No Longer Afraid To Die – Harmlessness
« L’armée étant une administration comme l’agriculture, les finances ou l’instruction publique, on ne conçoit pas qu’il existe une justice militaire quand il n’existe ni justice agricole, ni justice financière, ni justice universitaire. Toute justice particulière est en opposition avec les principes du droit moderne. Les prévôtés militaires paraîtront à nos descendants aussi gothiques et barbares que nous paraissent à nous les justices seigneuriales et les officialités. »
— Anatole France, L’anneau d’améthyste (1899)
« Practices of the unscrupulous money changers stand indicted in the court of public opinion, rejected by the hearts and minds of men.
True they have tried, but their efforts have been cast in the pattern of an outworn tradition. Faced by failure of credit they have proposed only the lending of more money. Stripped of the lure of profit by which to induce our people to follow their false leadership, they have resorted to exhortations, pleading tearfully for restored confidence. They know only the rules of a generation of self-seekers. They have no vision, and when there is no vision the people perish.
The money changers have fled from their high seats in the temple of our civilization. We may now restore that temple to the ancient truths. The measure of the restoration lies in the extent to which we apply social values more noble than mere monetary profit.
Happiness lies not in the mere possession of money; it lies in the joy of achievement, in the thrill of creative effort. The joy and moral stimulation of work no longer must be forgotten in the mad chase of evanescent profits. These dark days will be worth all they cost us if they teach us that our true destiny is not to be ministered unto but to minister to ourselves and to our fellow men. »
« Les pratiques des usuriers sans scrupules se trouvent dénoncées devant le tribunal de l’opinion publique, rejetées aussi bien par les cœurs que par l’intelligence des hommes.
A la vérité, ils ont essayé. Mais leurs efforts portaient l’empreinte d’une tradition périmée. Confrontés à l’effondrement du crédit, ils n’ont proposé qu’un surcroît de crédit. Dépouillés de l’appât du profit par lequel ils induisaient notre peuple à suivre leur fausse direction, ils en vinrent aux exhortations, plaidant la larme à l’œil pour le retour de la confiance. Ils ne connaissent que les règles d’une génération d’égoïstes. Ils n’ont aucune vision, et sans vision le peuple périt.
Les usuriers ont fui les hautes chaires du temple de notre civilisation. Nous pouvons maintenant rendre ce temple aux anciennes vérités. La mesure de cette restauration dépend de l’ampleur avec laquelle nous mettrons en œuvre des valeurs sociales plus nobles que le simple profit monétaire.
Le bonheur ne se trouve pas dans la simple possession de l’argent ; il se trouve dans la joie de la réussite, dans l’excitation de l’effort créateur. La joie et la stimulation morale tirées du travail ne doivent plus être oubliées dans la course folle envers des profits évanescents. Nous trouverons dans ces jours sombres plus que ce qu’ils nous ont coûtés s’ils parviennent à nous enseigner que notre véritable destin n’est pas d’être secourus mais de nous secourir nous-même et de secourir nos semblables. »
− Franklin Delano Roosevelt, First Inaugural Address (March 4th, 1933).
« Tautologiquement, des colères qui ne se trouvent plus aucune solution de symbolisation, n’ont plus accès qu’à des expressions désymbolisées : l’explosion de rage. Mais à qui doit-on ces impasses dont ceux qui s’y trouvent coincés n’ont plus que la ressource de faire péter un mur pour en sortir ? À qui sinon à ceux qui ont aménagé l’impasse même, bétonné le débat, répété l’inéluctable état des choses, pédagogisé sa nécessité, ridiculisé, disqualifié et finalement fait barrage à toute idée critique, donc empêché toute formation d’une perspective politique alternative qui aurait fait réceptacle ? »
Je ne me suis jamais beaucoup intéressé aux éditorialistes de la presse quotidienne, et à Laurent Joffrin en particulier ; il reste encore beaucoup trop de grandes choses que je n’ai pas lues pour perdre mon temps avec du vite-écrit franchouillard. Je ne connaissais donc pas bien la carrure intellectuelle de ce Jaurès contemporain jusqu’à ce que je l’entende il y a quelques jours sur France Inter, face à un confrère du Figaro, et donc dans la position d’apporter un point de vue de « gauche » dans un énième débat sur le droit du travail. Une chose devint immédiatemment claire : si le salarié français a Laurent Joffrin comme ami, il n’a pas besoin d’ennemi.
« Le pauvre ne travaille pas suffisamment dur parce qu’il est trop payé, le riche ne travaille pas assez dur car il est trop peu payé. »
— J. K. Galbraith, résumant l’idéologie de l’économie néo-classique.
« Plus grandissent la richesse sociale, le capital en fonctionnement, l’ampleur et l’énergie de sa croissance, et par conséquent aussi la grandeur absolue du prolétariat et la force productive de son travail, et plus grandit l’armée industrielle de réserve*. (…) Mais plus cette armée de réserve est grande par rapport à l’armée ouvrière active, et plus la surpopulation consolidée, dont la misère est inversement proportionnelle aux tourments infligés par le travail, est massive. Enfin, plus la couche des Lazare de la classe ouvrière et l’armée ouvrière de réserve sont importantes et plus le paupérisme officiel augmente. Ceci est la loi absolue et générale de l’accumulation capitaliste. »
— Karl Marx, Le Capital, volume 1 (1867)
« Ceux qui gagnent leur vie en travaillant tous les jours n’ont rien qui les aiguillonne à se rendre serviables que leurs besoins, qu’il est avisé de vouloir soulagé, mais qu’il serait insensé de guérir. La seule chose qui donne à un homme de l’ardeur au travail, c’est un salaire modéré. […] Il découle de tout cela que dans une nation libre où l’esclavage est interdit, la richesse la plus sûre consiste en une masse de pauvres de mentalité travailleuse. Outre le fait qu’ils constituent une source intarissable pour l’approvisionnement de la flotte et de l’armée, il n’y aurait pas sans eux de jouissance possible. […] Pour rendre la société heureuse et satisfaire le peuple, malgré le besoin dans lequel il se trouve, il faut que la grande majorité demeure à la fois dans l’ignorance et la pauvreté. Le savoir élargit et multiplie nos désirs, et moins un homme désire, plus on peut facilement satisfaire ses besoins. »
— Bernard de Mandeville, Remarques sur la Fable des Abeilles (1714)