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Category: Carnet noir et rouge

Au début, c’était un carnet noir et rouge… Aujourd’hui c’est un weblog.

« La brutalité du langage trompe sur la banalité de la pensée, et (quelques grandes exceptions mises à part) reste facilement compatible avec un certain conformisme. »
— Marguerite Yourcenar, Préface de 1963 à Alexis

« Pope Benedict [XI] sent one of his courtiers into Tuscany to see what sort of a man [Giotto] was and what his works were like, for the Pope was planning to have some paintings made in Saint Peter’s. This courtier, on his way to see Giotto and to find out what other masters of painting and mosaic there were in Florence, spoke with many masters in Sienna, and then, having received some drawings from them, he came to Florence. And one morning going into the workshop of Giotto, who was at his labours, he showed him the mind of the Pope, and at last asked him to give him a little drawing to send to his Holiness. Giotto, who was a man of courteous manners, immediately took a sheet of paper, and with a pen dipped in red, fixing his arm firmly against his side to make a compass of it, with a turn of his hand he made a circle so perfect that it was a marvel to see it. Having done it, he turned smiling to the courtier and said, “Here is the drawing.” But he, thinking he was being laughed at, asked, “Am I to have no other drawing than this?” “This is enough and too much,” replied Giotto, “send it with the others and see if it will be understood.” The messenger, seeing that he could get nothing else, departed ill pleased, not doubting that he had been made a fool of. However, sending the other drawings to the Pope with the names of those who had made them, he sent also Giotto’s, relating how he had made the circle without moving his arm and without compasses, which when the Pope and many of his courtiers understood, they saw that Giotto must surpass greatly all the other painters of his time. »
— Giorgio Vasari, Lives of the Painters, Sculptors and Architects

(Je publie celui-là tongue-in-cheek.)

« Un homme de hautes et rares facultés intellectuelles obligé de se livrer à quelque occupation purement utile est comme un vase précieux, orné des plus belles peintures, qu’on emploierait pour le service de la cuisine. »
— Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation

Un meme sympa, pour une fois (via kottke) : aller sur cette page de citations aléatoires et la recharger jusqu’à en avoir extrait cinq passages qui vous parlent ou vous ressemblent :

« I am going to concentrate on what’s important in life. I’m going to strive everyday to be a kind and generous and loving person. I’m going to keep death right here, so that anytime I even think about getting angry at you or anybody else, I’ll see death and I’ll remember. »
— Diane Frolov and Andrew Schneider, Northern Exposure, Do The Right Thing, 1992

« Say all you have to say in the fewest possible words, or your reader will be sure to skip them; and in the plainest possible words or he will certainly misunderstand them. »
— John Ruskin (1819 – 1900)

« One of the symptoms of an approaching nervous breakdown is the belief that one’s work is terribly important. »
— Bertrand Russell (1872 – 1970), Conquest of Happiness (1930) ch. 5

« He who postpones the hour of living rightly is like the rustic who waits for the river to run out before he crosses. »
— Horace (65 BC – 8 BC)

« I love quotations because it is a joy to find thoughts one might have, beautifully expressed with much authority by someone recognized wiser than oneself. »
— Marlene Dietrich (1901 – 1992)

Et en bonus :

« As a scientist, I am not sure anymore that life can be reduced to a class struggle, to dialectical materialism, or any set of formulas. Life is spontaneous and it is unpredictable, it is magical. I think that we have struggled so hard with the tangible that we have forgotten the intangible. »
— Diane Frolov and Andrew Schneider, Northern Exposure, Zarya, 1994

Blind Pew

Blind Pew

Lejos del mar y de la hermosa guerra,
que así el amor lo que ha perdido alaba,
el bucanero ciego fatigaba
los terrosos caminos de Inglaterra.

Ladrado por los perros de las granjas,
pifia de los muchachos del poblado,
dormía un achacoso y agrietado
sueño en el negro polvo de las zanjas.

Sabía que en remotas playas de oro
era suyo un recóndito tesoro
y esto aliviaba su contraria suerte;

a ti también, en otras playas de oro,
te aguarda incorruptible tu tesoro:
la vasta y vaga y necesaria muerte.

Loin de la mer et de la superbe guerre,
Car c’est ainsi que l’amour célèbre ce qu’il a perdu,
Le boucanier aveugle épuisait
Les terreux chemins d’Angleterre.

Sous les aboiements des chiens de ferme,
Risée des garçons du village,
Il dormait d’un sommeil perclus et crevassé
Dans la noire poussière des caniveaux.

Il savait qu’en de lointaines plages d’or
Lui appartenait un trésor caché
Et cela soulageait son déplorable sort ;

Toi aussi, en d’autres plages d’or
T’attend incorruptible ton propre trésor :
La vaste et vague et nécessaire mort.

— Jorge Luis Borges, L’Auteur

Zen

Zen

« Ce n’est pas par la volonté de se détourner énergiquement qu’on peut satisfaire le mieux à l’exigence de fermer la porte des sens, mais plutôt par une disposition à céder sans résistance. Mais, pour que réussisse d’instinct ce comportement passif, il faut à l’âme une armature interne ; elle l’acquiert en se concentrant sur l’acte respiratoire. Cette concentration s’opère en pleine conscience en y apportant une sorte de pédantisme : inspiration et expiration sont exécutées séparément et avec soin. »
— Eugen Herrigel, Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc

« “Il semble à présent que le plus difficile est accompli”, dis-je au Maître, lorsqu’il nous annonça un beau jour que nous passerions à de nouveaux exercices. Sa réplique fut : “Chez nous, on conseille à celui qui a cent milles à parcourir de considérer quatre-vingt-dix comme la moitié.” »
Ibid.

« Parmi beaucoup d’autres coups ratés, il arriva parfois par la suite que plusieurs coups d’affilée touchèrent leur cible. Mais si je faisais mine le moins du monde de m’en glorifier, le Maître me gourmandait avec une rudesse particulière. Alors il éclatait : “Qu’est-ce qui vous prend ? S’il ne faut pas vous chagriner des coups mauvais, ce que vous savez depuis longtemps, vous n’avez pas à vous réjouir des bons. Il faut vous libérer de ce passage du plaisir au mécontentement. Il faut que vous appreniez à dominer cela, dans un état d’équanimité décontractée, et à vous réjouir par conséquent comme si le coup avait été tiré par un autre que vous.” »
Ibid.

« Fermer la porte des sens » ?

Carnet noir et rouge

Carnet noir et rouge

« Le saumon est en soi un mets fort délicat, mais son abus nuit à la santé ; il est indigeste. Aussi, quand jadis à Hambourg la pêche était fructueuse, la police ordonnait aux patrons de n’en servir aux domestiques qu’une fois par semaine. Il serait à désirer que la police fit placarder une affiche analogue concernant la sentimentalité. »

— Kierkegaard, Diapsalmata

« Il faut prendre à César tout ce qui ne lui appartient pas. »

— Eluard et Breton

« Il faut mettre son cœur dans l’art, son esprit dans le commerce du monde, son corps où il se trouve bien, sa bourse dans sa poche et son espoir nulle part. »

— Flaubert

Mille tendresses

Mille tendresses

« On ne peut, je crois, rien connaître par la simple science; c’est un instrument trop exact et trop dur. Le monde a mille tendresses dans lesquelles il faut se plier… Seul le marin connaît l’archipel. »
— Jean Giono

« Les personnes qui vivent avec rapidité et précipitation perdent facilement le contrôle de leurs impressions et succombent à des émotions et à des motivations inconscientes. L’exercice d’un art quelconque (peindre, écrire, composer) leur ferait le plus grand bien, à condition toutefois de ne pas tendre à un but, mais de se laisser aller, librement et sans entraves, à leur imagination. Le processus autonome de l’imagination fait immanquablement remonter ces choses qui avaient franchi, en bloc, le seuil de la conscience. En un temps comme le nôtre, où les hommes sont quotidiennement assaillis par les choses les plus monstrueuses, sans pouvoir analyser leurs impressions, en un tel temps, la production esthétique devient un régime diététique. Néanmoins, tout art véritablement vivant sera irrationnel, primitif et complexe ; il utilisera un langage secret et léguera non pas des documents édifiants, mais des documents paradoxaux. »

— Hugo Ball, 25.11.1915