Il y a quelques années, nous avons composé toute une série de playlists / mixes / compilations avec quelques camarades. L’une d’elle, la plus électronique et la plus décalée de celles que j’avais concocté, m’est restée dans les oreilles. Je l’ai retravaillée, enrichie et affinée ; la voici sous son meilleur jour. Elle prend son titre du morceau qui est devenu le tube vintage improbable de 2022.
« Werner Herzog sur de la techno minimale, un remix d’opéra moderne napolitain mystérieusement devenu un classique des nuits québécoises, un classique des débuts de la drum’n’bass britannique, un groupe de percussions corporelles brésiliennes retravaillé French Touch, le chef-d’œuvre tellurique du plus grand producteur germano-chilien, un earworm dark-disco vaguement sadomasochiste, des remixes disco-funk fabuleux de nos copines Kate et Véronique, un tube krautrock qui prend soin de votre santé, la pop cosmico-motorik d’une prolifique artiste britannique, un remix belge ultra-dansant d’un groupe irlandais quelque peu inattendu, une rareté de pop colombienne des 70s boostée à la sauce rémoise, le hit de sampling maniaque oublié (mais parfait) qui a lancé l’explosion du smiley, une track irrésistible et jamais identifiée mixée par une légende new-yorkaise en 2018, et le remix trituré en tous sens d’un classique électro-prog. »
La bibliothèque en préfabriqué de monsieur L. est notre havre de joie. Je m’en souviens comme si c’était hier : Tolkien était au fond à gauche, sur les étagères du bas, et Charlie et la Chocolaterie un peu plus à droite, juste en face en entrant.
Ce collège pour les prolétaires, il faudra quatre ans pour trouver l’argent pour le reconstruire en dur, quatre années durant lesquelles monsieur L., malgré son jeune âge, promène un air perpétuellement défait. Seuls les livres illuminent un peu son regard déjà perdu. Les livres et, peut-être plus furtivement mais plus intensément, l’évocation de l’Italie. Nous sommes l’option Latin, dont l’effectif se confond avec le club lecture, et puisque notre bibliothécaire parle un italien courant, héritage d’un séjour prolongé et mystérieux de l’autre côté des Alpes, nous décidons qu’il nous accompagnera en voyage scolaire à Rome. Nous sommes à l’âge où un prétexte raisonnable n’est pas encore nécessaire pour rêver.
Tombola auprès des parents et vente de pains au chocolat durant les récrés seront le nerf de notre guerre d’usure des mois durant, et monsieur L. se prend au jeu devant notre détermination, extirpant un plateau de viennoiseries de sa petite voiture tous les matins. Une anticipation discrète semble gagner ses gestes.
Au printemps nous partons enfin. C’est la première fois que je quitte la France, la seule occasion avant longtemps. Au matin naissant nous entrons à Rome, gare de Termini. Les derniers kilomètres de banlieue sont d’une laideur terrifiante à travers les vitres du train de nuit. Mais cela ne fait que souligner le contraste avec les huit jours qui vont suivre : le marbre des fontaines, le soleil du Palatin, les fresques d’un temps insoupçonné, la perfection stupéfiante des églises baroques, l’odeur enivrante des pins, les catacombes énigmatiques et le parfum inédit des glaces « à l’italienne » offertes par un monsieur L. d’une générosité fébrile nourrissent nos coeurs et nos corps hormonaux et maladroits.
La veille du départ, notre accompagnateur confiant nous offre une fin de journée libre. Sans qu’il soit besoin de nous le dire, nous comprenons que monsieur L. a quelque chose à faire, une chose pour laquelle il rassemble son courage depuis notre descente du train, depuis la première fois que nous avons émis cette idée sans gêne de le faire (re)venir à Rome.
Nous errons désoeuvrés, bêtement, comme des ados, dans les rues sans caractère qui entourent notre auberge de jeunesse mussolinienne, et en fin de journée nous rentrons, ivres de liberté. Figé devant nous, silencieux et assis seul à une table de la cafétéria, une bière gigantesque à peine entamée devant lui, monsieur L. a les yeux dans le vides. Les yeux mouillés de larmes.
Le lendemain nous rentrons en France, dans nos préfabriqués.
Monsieur L., où que vous soyez aujourd’hui, j’espère que vous n’en avez pas voulu aux écervelés de l’option Latin, à l’espoir stupide qu’avec l’inconséquence de leurs quatorze ans ils ont fait renaître en vous. Que vous avez trouvé du réconfort en vos livres. Et peut-être, comme moi, dans la perfection bouleversante du piano d’Arturo Benedetti Michelangeli.
J’entends ou je lis souvent que les taxes sur le patrimoine ou la succession, voire sur les revenus, sont injustes. Ou que le refus de changer l’âge de départ à la retraite ou le statut d’une catégorie protégée de salariés est une défense de privilèges injustifiés. Au final, que la volonté de faire contribuer davantage les hauts patrimoines et les entreprises au partage des richesses repose, au fond, sur la jalousie des moins bien dotés, des plus oisifs, de ceux qui ont produits moins d’efforts, de ceux qui partent en vacances ou prennent des congés maladie. Après tout, disent-ils, les inégalités sont naturelles, on ne peut pas faire autrement et même, elles encouragent le progrès.
Ce à quoi je réponds : c’est tout à fait exact. La Nature est formidable, et c’est le dernier juge de tout ce qu’on doit trancher. D’ailleurs moi qui ne suit plus tout jeune, je me rappelle bien de l’époque où on a inventé la civilisation, et c’était la même chose.
En cette douce période néolithique, il n’y avait pas assez de gourdins pour tout le monde. La Nature, dans son infinie sagesse, avait réparti les gourdins de façon — qui en douterait — parfaitement aléatoire. Il était parfaitement naturel, et donc juste, que les homo sapiens équipés d’un gourdin puissent, à l’aide de coups judicieusement placés (ce qui est une compétence que l’on n’acquiert qu’après de longs efforts), s’emparer des champs, des huttes et des femmes de ceux qui n’en avaient pas. Cette perfide civilisation, avec sa police, sa justice, son droit, ses écoles gratuites d’auto-défense et ses droits de l’Homme, toutes choses qui coûtent extrêmement cher au contribuable, était évidemment la mesquine réponse des fainéants et des aigris, en un mot des jaloux.
D’ailleurs certains avaient travaillé dur pour obtenir leur gourdin et se s’élever au-dessus de leur condition. Il fallait abattre un arbre, le transporter, puis le tailler… vous rendez-vous compte de l’effort que cela représente lorsque l’on n’a que ses muscles et un silex ? Et vous voulez, à la fin de leur vie, leur retirer le droit le plus sacré d’enlever votre femme ! Cette absence du respect du travail des autres est écœurante. Voilà bien résumée la détestable idéologie de ces civilisationnistes.
« Serious sport has nothing to do with fair play. It is bound up with hatred, jealousy, boastfulness, disregard of all rules and sadistic pleasure in witnessing violence: in other words it is war minus the shooting. »
Deux articles longform remarquables sur le plastique, son ubiquité, notre addiction, son rôle dans la destruction de l’environnement, notre inconséquence.
A chaque été la Marseillaise se rappelle à nous par divers moyens, et à chaque été j’ai de plus en plus de gêne physique (avant même un dégoût intellectuel) à l’écoute de ses paroles manichéennes, sanglantes et d’un faux patriotisme revanchard de courte vue. Il se trouve qu’en 1871 la Commune de Paris en avait respecté l’indéniable symbole en faisant son hymne d’une nouvelle version qui en gardait la vibrante musique tout en ré-écrivant les paroles d’une façon bien plus belle et généreuse. J’ai envie de faire mienne cette version, qui a de plus le bon goût d’être l’œuvre d’une femme, Mme Jules Faure.
Français, ne soyons plus esclaves !, Sous le drapeau, rallions-nous. Sous nos pas, brisons les entraves, Quatre-vingt-neuf, réveillez-vous. (bis) Frappons du dernier anathème Ceux qui, par un stupide orgueil, Ont ouvert le sombre cercueil De nos frères morts sans emblème.
Refrain: Chantons la liberté, Défendons la cité, Marchons, marchons, sans souverain, Le peuple aura du pain.
N’exaltez plus vos lois nouvelles, Le peuple est sourd à vos accents, Assez de phrases solennelles, Assez de mots vides de sens. (bis) Français, la plus belle victoire, C’est la conquête de tes droits, Ce sont là tes plus beaux exploits Que puisse enregistrer l’histoire.