Top 2015 (#10)

Top 2015 (#10)

10. Chantal Acda – The sparkle in our flaws

Néerlandaise vivant en Belgique, Chantal Acda a enregistré ce deuxième album solo aux États-Unis avec Peter Broderick (nom qui ne parlera qu’aux initiés, mais devrait leur faire tendre l’oreille). On est ici dans le domaine d’une folk douce teintée d’élans indie-classical, superbement composée et mise en musique, où tout est précis et précieux.

J’ai découvert Chantal Acda grâce à l’émission de radio Label Pop (sur France Musique), l’une des plus belles choses qui soit. La qualité des sélections de Vincent Théval, son ouverture d’esprit ainsi que son humilité me font chaque semaine un bien fou ; il démontre qu’il est possible de parler de musique pop à un rythme hebdomadaire en étant à la fois intéressant, accessible et exigeant.

Top 2015 (#11)

Top 2015 (#11)

11. Chelsea Wolfe – Abyss

Honnêtement, je ne sais pas trop ce qui se passe. Normalement, je ne devrais pas m’engouer de Chelsea Wolfe, c’est un truc destiné aux ados qui affirment qu’ils vénèrent Satan pour énerver leur prof de cathéchisme, ou qui s’habillent comme ça pour aller assister à un festival de métal à Torcy. Et pourtant depuis trois albums je ne peux résister à cette musique qui rassemble des éléments de… de gothique industriel ? de drone folk ? de dark ambient ? C’est complètement en dehors de ma zone de confort, je ne sais même pas ce que c’est.

Quoi qu’il en soit de ces questions nomenclaturales primordiales, les disques de Chelsea Wolfe sont vertigineux, magnifiquement écrits et produits, d’une intensité folle tout en restant accessibles aux minus qui n’aiment pas le chant guttural et les acouphènes, et Abyss s’écoute comme le sommet d’une œuvre fascinante et unique. Il faut ajouter que le groupe qui accompagne Chelsea en concert est d’une efficacité à couper le souffle, avec notamment un batteur magistral (Dylan Fujioka).

Top 2015 (#12)

Top 2015 (#12)

12. Björk – Vulnicura

J’appartiens à la chapelle minoritaire de ceux qui pensent qu’il y a du très bon dans tous les albums (studio) de Björk. Les rares fois où leur réception critique s’aligne avec mon ressenti font donc plaisir. D’autant que c’est certainement son meilleur disque en neuf ans, puisqu’elle semble avoir réalisé (jusqu’au prochain ?) qu’une belle partition avec des éléments expérimentaux est une chose somme toute plus fructueuse que d’aller inventer des instruments qui n’existaient pas ou des apps conceptuelles pour tablette.

Répétons ce que tout le monde a dit : les arrangements pour cordes qui portent presque tout le disque (les premiers qu’elle a écrit en douze ans) sont époustouflants. Ils constituent une raison suffisante d’apprécier cet album, et d’ailleurs Björk ne s’y est pas trompée en sortant récemment Vulnicura Strings, une belle version de cette œuvre comprenant seulement les cordes et les voix.

Ceci étant posé, je suis nettement moins à l’aise avec le thème qui parcourt tout le disque. 58 minutes de variations autour de l’ex-qui-m’a-larguée-est-un-salaud peuvent avoir, c’est indiscutable au regard de l’histoire de la musique pop, des vertus cathartiques et inspiratoires, mais les artistes ont inventés un outil précieux en cas de telle décompression : la métaphore. L’effet de cette prise en otage sentimentale de l’auditeur est, je trouve, un peu poisseux, même si l’on a connu des exemples du même syndrome tout aussi récents mais plus crapuleux. Je n’ai pas beaucoup de sympathie, au final, avec l’idée qui affleure ici à force d’insistance, l’idée de la femme diminuée lorsque son homme est absent.

Top 2015 (#13)

Top 2015 (#13)

13. Anna Von Hausswolff – The Miraculous

Anna à quelques encablures du Cercle Polaire, maltraitant l’un des plus grands orgues d’Europe, criant d’une voix de Reine de la Nuit imprécatoire ses incantations ténébreuses, tandis qu’un continent entier barbotte dans l’égoïsme le plus veulement bourgeois, dans le crétinisme le plus anti-intellectuel.

L’année s’est complu de paroles creuses, de faits mal étayés, d’opinions bancales, d’exigences irrationnelles, du bruyant néant de vos langues qui remuent, de vos doigts qui tapotent, de vos caméras qui figent, de votre inculture, de votre paresse, de votre impuissance sublimée, de votre absence de curiosité et d’exigence, de votre médiocrité apeurée. « NE ME PARLEZ PAS » suppliait Fuzati.

Anna, pour peu que tu montes le volume au plus haut, balaye tout cela, à coups de tonnerre frappant la toile sonore, à coups de battements et de souffles, à grandes larmes de black pop — comme il y a un black metal, extrême et délibérément conçu pour s’aliéner les cons. On ne peut se souhaiter de meilleur vœu.

Top 2015 (#14)

Top 2015 (#14)

14. Julien Baker – Sprained Ankle

Quelques arpèges de guitare électrique, une poignée de pédales d’effet et de rares overdub, surtout une voix incroyable, voilà qui suffit à faire un album magique, enregistré dans le même studio que celui de Natalie Prass… pour un résultat résolument différent, sans violons ni harpes, avec une seule ligne musicale et thématique, parcourue avec une humilité résolue.

“Wish I could write songs about anything other than death”, dit une des chansons, tandis qu’un article titre un peu facilement « A Sad Record for People Who Like Sad Records ». J’ai peur que trop peu de gens l’aient écouté, ce Sprained Ankle offert par une jeune femme de 19 ans au prénom de garçon. Ce serait une injustice. Quelque chose de merveilleux vient peut-être de commencer entre nous et Julien Baker.

Top 2015 (#15)

Top 2015 (#15)

15. The Color Bars Experience, Jason Lytle & Troy Von Balthazar – High on the Sound (Elliott Smith’s Figure 8)

On ne dit pas souvent à quel point Elliott Smith était un excellent guitariste – ses morceaux sont (malheureusement) pour la plupart inaccessibles aux débutants. Ceci, et le fait qu’il était l’un des meilleurs mélodistes rock depuis Paul McCartney, explique sans doute qu’aujourd’hui ses albums nous paraîssent bien plus représentatifs de leur époque (la deuxième moitié des années 90), et bien plus écoutables, que toute la vague “grunge” souvent pas très finaude qui pourtant dominait les ondes.

Le dernier album publié de son vivant, Figure 8, constitue l’apogée de cette carrière, le moment où ses qualités hors pair se complétaient d’une capacité à écrire des arrangements aussi épatants que ceux des Beatles, groupe qu’il a toujours vénéré.

En 2015, Yann Debiak se lançait dans le projet fou d’arranger cet album culte pour un orchestre de chambre et d’en confier l’interprétation à deux chanteurs magiques pour notre génération : Jason Lytle (Grandaddy) et Troy Von Balthazar (Chokebore), le temps d’une tournée. Le résultat est hallucinant d’élégance (et peut être écouté sur le site de l’émission Label Pop de France Musique, jusque fin janvier 2016 seulement).

Top 2015 (#16)

Top 2015 (#16)

16. Natalie Prass – s/t

Avec ses arrangements un brin indie, un brin soul, un brin Great American Songbook, un brin 70s, une petite touche Broadway, et plus de trente musiciens dans les crédits, le premier album de Natalie Prass n’est pas aussi personnel, pas aussi favorable au coup de foudre immédiat que d’autres disques plus incarnés de chanteuses compositrices actuelles.

Pourtant les écoutes ultérieures révèlent peu à peu, dans cette petite dizaine de chansons au romantisme délicieusement anachronique, une production magnifique (notamment des arrangements chambristes impeccables) et une voix qui sait jouer sur ses forces, particulièrement sur les morceaux les moins rock. Au final c’est un album auquel on sera revenu comme à un camarade, comme à une évidence : peu de choses aussi splendides et aussi richement orchestrées nous ont accompagnées cette année.

Top 2015 (#17)

Top 2015 (#17)

17. Trois albums de female-fronted rock

J’avais prévenu dès le début : je triche deux fois, et celle-ci est la seconde. Partagent donc la dix-septième place trois groupes américains qui ont en commun d’être mené par des femmes et d’avoir au minimum dix années d’existence.

Sleater-Kinney – No Cities To Love

En réalité je ne suis pas en mesure de faire mon intéressant sur ce coup là. Je n’ai pas écouté ces trois groupes à leurs « grandes époques » respectives, et je n’ai pas de remarque particulièrement instructive à ajouter à la musique. Ces trois albums de rock à guitare sont excellents, bien meilleurs que la moyenne des albums-du-retour-après-10-ans-d’absence.

Je répète ici le refrain du morceau ci-dessus, qui a une résonance particulière en ce début 2016 :

Exhume our idols and bury our friends
We’re wild and weary but we won’t give in
We’re sick with worry
These nerve less days
We live on dread in our own gilded age

Veruca Salt – Ghost Notes

Une fille avec une Gibson SG c’est quand même dinguement sexy. (Vous aviez déjà écouté Seether ? On ne fait plus ça aujourd’hui, c’est regrettable.)

Screaming Females – Rose Mountain

Top 2015 (#18)

Top 2015 (#18)

18. Grimes – Art Angels

Le deuxième album de Grimes est tellement énorme à tous points de vue que ce n’est même plus une confirmation de son talent, c’est une explosion. Métaphore qui va bien à cette veine de pop maximaliste, mais suffisamment infusée de subtilités inattendues pour durer plus d’une saison. L’impression tenace est que Claire Boucher a une incroyable facilité à composer des tubes intelligents, jubilatoires et un peu dérangeants (facilement sept sur les quatorze titres de l’album !). En comparaison, on ne compte plus le nombre de feux de paille synth-pop produits par un svengali plus ou moins scandinave ayant échoué à réaliser au moins un single aussi immédiat que le genre l’exige.

Certes, c’est aussi l’album avec une des pochettes les plus hideuses de l’année, mais il faut bien qu’il ait un défaut. Même les featuring ont la pure classe : la rappeuse taïwanaise Aristophanes (en mandarin dans le texte) et la formidable Janelle Monáe.

Je ne veux pas évoquer Grimes sans oublier de me réjouir de ses positions féministes, fermes et évidentes. Son manifeste de 2013 à ce sujet reste un incontournable. Je suis plutôt fier de remarquer, au moment où j’écris ces lignes, que la moitié des 30+ albums que j’ai sélectionné pour cette revue de fin d’année ont été composés par des femmes. Fier pour elles, évidemment. #HeForShe