Casus Belli
Il y a en France une nostalgie écœurante et toujours renouvelée pour Napoléon Bonaparte, ce cas d’école freudien qui, en bon pré-totalitaire, pensait qu’on devait faire le bien des peuples européens en dépit de leur avis sur la question. La fascination actuelle pour un certain dignitaire, verticalement handicapé, notoirement caractériel, inconsidérément ambitieux, à la vie sexuelle chaotique, mais incontestablement charismatique, n’y joue peut-être pas un rôle négligeable.
A la brutalité mielleuse du boucher ajaccien répond la brutalité statistique de l’incroyable Carte Figurative des pertes successives en hommes de l’Armée Française dans la campagne de Russie de Charles Joseph Minard, datant de 1861 et l’un des tous premiers exemples de ce que l’on appelle aujourd’hui l’infographie ; un exemple difficilement surpassable.
La partie colorée s’y lit de gauche à droite et représente l’avancée des armées napoléoniennes de 1812, chaque millimètre d’épaisseur figurant 10 000 hommes. La partie noire s’y lit dans l’autre sens, de droite à gauche, et présente la Retraite (avec les mêmes proportions) en parallèle de la courbe des températures, en bas (en degrés Réaumur, -30° Ré = -37,5 °C). La traversée de la Bérézina est par exemple très parlante.
Des 422 000 français à avoir marché sur Moscou, seuls 10 000 revinrent selon les chiffres de Minard, revus à la hausse aujourd’hui (on penche apparemment pour 90 000). Les pertes des côtés russe, polonais et allemand sont à peu près du même ordre.
Il faudra attendre la guerre américaine au Vietnam de 1959-1975 pour que la technologie nous aide à améliorer significativement le ratio entre les pertes humaines chez les perdants et chez les vainqueurs (aux alentours de 1 G.I. mort pour 60 vietnamiens ; les victimes « collatérales » cambodgiennes et laotiennes tuées sous les bombes U.S. n’ont pas le bénéfice de ce genre de noble décompte). Les nazis n’arriveront qu’au piteux score de 1 pour 7.