Au collège, weblog d’un enseignant en Seine-Saint-Denis.
Faute de pouvoir expliquer dans leur complexité les tenants et les aboutissants d’un évènement historique, nous risquons, nous professeurs, de devoir nous en tenir à exalter une figure héroïque totalement décontextualisée. Guy Môquet quittera le domaine de l’histoire et des faits pour devenir une espèce d’abstraction exemplaire — un objet susceptible, comme le prouvent ses mésaventures actuelles, de toutes les manipulations, à commencer par celle qui l’amènera directement à l’insignifiance la plus complète.
(…)
Franchement, ce genre de simplification ne figure pas parmi mes pratiques pédagogiques préférées, et elle m’apparaît même dangereuse et malhonnête ; car sans tomber dans le relativisme, je ne crois pas que la tâche de l’école soit de panthéoniser telle ou telle figure dans l’esprit de ses élèves, de les inviter à suivre tel ou tel héros. Je ne suis pas un professeur de morale. Je suis un professeur d’histoire. J’enseigne, j’essaie d’enseigner, la complexité du réel.
Et aussi :
Plus tard, j’ai passionnément aimé le latin. Cette langue morte depuis 1500 ans, qu’écrivaient encore quelques moines du Vatican, ressemblait à un code secret dont la clé se trouvait dans d’interminables tableaux de déclinaisons. Hic, haec, hoc. Hunc, hanc, hoc. Hujus, hujus, hujus. Huic huic huic. Hoc hac hoc. Beauté raide et hoquetante de ces incantations magiques. En m’échinant sur les périodes de Cicéron ou de Salluste, je n’éprouvais aucun sentiment d’inutilité ; il me semblait au contraire que mes efforts finiraient par me faire accéder à un sens que ne bornait ni la langue latine ni l’histoire romaine, mais qui portait au-delà, dans une métaphysique.
Plus tard encore, après le bac, j’ai perdu cette rigueur, j’ai négligé d’entretenir ma mémoire, et je le regrette. Mais je crois que tout ce que ces efforts de jeunesse ont laissé en moi est bon.