Jeunesse du prince, source des belles fortunes
« Le reproche en un sens le plus honorable que l’on puisse faire à un homme, c’est de lui dire qu’il ne sait pas la cour : il n’y a sorte de vertus qu’on ne rassemble en lui par ce seul mot. » — La Bruyère, Les Caractères, De la Cour
Je trouve l’auto-censure et l’esprit de courtisanerie qui règnent en ce moment proprement sidérants.
Lorsque M. Sarkozy et M. Kouchner répètent sur tous les tons que la politique étrangère de M. Chirac (et par là, il faut comprendre le refus de joindre la coalition ayant envahi l’Irak) avait comme moteur principal “l’antiaméricanisme”, le silence des titres de presse qui pourraient tenter de les contredire est assourdissant. Les historiens ne se départagerons probablement jamais quant à savoir qui, de Freud, Staline ou Goebbels, a le premier théorisé qu’il suffisait de répéter suffisamment fort et suffisamment souvent un mensonge pour qu’il devienne un truisme. C’est pourtant bien l’objectif de ces gens. Que je sache, ce ne serait pas une position particulièrement fragile que de rappeler que cette invasion fut (est) un échec humain et militaire majeur, que les pertes dans les deux camps sont absolument disproportionnées au piteux résultat obtenu (ou même prévisible à moyen-terme). La vie à Bagdad est, de manière persistente, encore plus insupportable que dans les pires heures du baasisme ; le choléra y a même récemment fait sa réapparition. Il ne me semble pas particulièrement audacieux, rigoureusement parlant, d’accorder à M. Chirac, amoureux avéré de tous les Orients, et à M. Villepin, diplomate de carrière, la pertinence a posteriori de leurs jugements en matière de politique étrangère. On peut bien entendu discuter des détails, mais face à une telle débacle, ramener à de la xénophobie la décision de responsables ayant eu, au moins en partie, raison est du pur révisionnisme.
De même, lorsque le Président de la République s’accorde le beau rôle de dénoncer la sauvagerie de la dictature birmane, et se fait même subitement altermondialiste en pointant du doigt le rôle occulte de Total (la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme : « [Cet] appel ne doit pas dédouaner la France de ses responsabilités. Elle est – jusqu’à présent – le pays qui a le plus freiné le renforcement de sanctions européennes à l’égard de la junte. »), il ne se trouve aucun média généraliste (avec une seule timide exception) pour lui rappeler que son bien-aîmé Ministre des Affaires Etrangères a offert, il n’y a pas si longtemps, le soutien de son aura « humanitaire » au conglomérat pétrolier français. M. Kouchner rédigea et signa en effet en 2003 un rapport dédouanant Total de tout rôle dans le maintien de la dictature et les violations avérées des droits de l’Homme perpétrées par ce régime (travail forcé sur les pipelines y compris). Rapport par ailleurs grassement payé au médecin-ministre sans que sa conscience en soit plus perturbée que lorsqu’il a encouragé des millions d’écoliers dont je fis partie à rassembler des paquets de riz pour les enfants éthiopiens, denrées qui servirent exclusivement à permettre à une dictature stalinienne de déplacer contre leur gré des populations à une échelle jusqu’alors inconnue en Afrique de l’Est.
PS: Seymour Hersh : Shifting Targets, dans le New Yorker. L’administration Bush prépare son opinion publique, de façon fort similaire aux mois qui ont précédé l’invasion de l’Irak, à une attaque contre l’Iran. Mais contrairement à la fois précédente, il est crucial pour George W. Bush d’amener le médiocrement prévisible Mahmoud Ahmadinejad à commettre l’erreur qui déclenchera le conflit, et permettra aux Occidentaux d’invoquer, sinon la légitime défense, du moins la Morale à leur côté lors de l’intervention.
Lorsque M. Kouchner, premier diplomate de France, veut nous faire croire qu’en évoquant publiquement la possibilité d’une “guerre” contre l’Iran il ne veut que nous avertir d’un danger qu’il nous exhorte à éviter, la provocation et la logique dans laquelle elle s’inscrit sont un peu trop transparentes. Je ne crois pas avoir entendu quiconque ne serait-ce que le mentionner… à titre de possibilité.
3 réflexions sur « Jeunesse du prince, source des belles fortunes »
houhou, c’est la fête, Manur écrit à nouveau :-)Bon, je vais lire maintenant…
En 1992, tu étais encore à l’école ?
J’aime bien cet article, je vais le faire lire a des amis.