Quand les Khmers Rouges ont pris la ville de Phnom Penh en avril 1975, il restait un seul lieu diplomatique théoriquement bénéficiaire de l’extraterritorialité au Cambodge : l’Ambassade de France. Mais celle-ci n’était plus qu’un Consulat depuis la rupture des relations diplomatiques avec le gouvernement putschiste pro-américain qui avait pris le pouvoir quelques années auparavant. En plus du Consul, les affaires courantes y étaient expédiées par moins d’une dizaine de fonctionnaires français.
Lorsque les KR entrèrent dans Phnom Penh, tous les étrangers se réfugièrent donc à l’Ambassade de France, mais également de nombreux locaux, dignitaires du régime, membres de la noblesse ou simples Cambodgiens des villes, tous bien conscients que leur origine sociale et économique en faisaient des ennemis de classe des vainqueurs.
Le Monde, la semaine dernière, évoquait les derniers jours de l’ambassade, lorsque pour s’assurer de la sécurité des ressortissants étrangers durant le convoi qui les rapatrierait en Thaïlande, le Consul (sur ordre du Quai d’Orsay) remit aux Khmers Rouges tous les cambodgiens qui avaient cherché refuge (illégalement) sur le territoire français de l’ambassade.
Cela pose des questions graves : on ne saura jamais si les étrangers auraient pu quitter en vie ce pays sans cette lâcheté de la France. Le devoir du Consul était avant tout de protéger ses ressortissants, et il l’a rempli. Cependant, livrer les dignitaires engagés politiquement (et militairement) contre les vainqueurs était une chose ; livrer tous les « anonymes » qui s’étaient réfugiés dans l’ambassade, dont pas un n’a survécu, c’est au-delà de l’indignation.
Ce qui me marque le plus est le télescopage médiatique entre cet article et un autre sujet, abondamment commenté la semaine passée : la reconnaissance officielle des Justes français, qui au mépris du danger posé à leur propre vie et celle de leur famille, ont sauvé des Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale.
Il y a deux formes de réactions face au totalitarisme. On aurait aimé penser que l’élite de la République, éduquée dans nos meilleures écoles, eût été capable de la seule qui soit morale.