Tsunami et aide humanitaire

Tsunami et aide humanitaire

Le débat autour des ONGs et de l’aide humanitaire n’a pas finit de faire couler beaucoup d’encre (même numérique), et je l’aime bien parce que tous les protagonistes sont d’accord pour affirmer que les choses sont plus compliquées qu’elle ne le paraîssent.
Avertissement : ma réflexion n’est ni très aboutie, ni très formalisée. Je note ici mes conclusions commes elles me viennent, sans prétendre à quelque rigueur académique.

Avant toute chose, il me semble que la seule certitude est à répéter fréquemment : nous ne pouvons que très rarement aider dans les situations d’urgence. C’est un fait douloureux, qui nous blesse dans notre bonne conscience, mais lorsqu’une catastrophe ou une guerre surviennent, notre argent n’arrivera jamais à temps pour soulager ceux « qui en ont le plus besoin ». Même Médecins sans frontières, qui pourrait à juste titre être recommandé comme l’organisation à soutenir par ceux qui souhaiteraient aider dans les contextes d’urgence, même MSF le dit dans ce dossier très intéressant de l’Express :

« Les vies sauvées l’ont été par des voisins et des médecins locaux, confirme Pierre Salignon, directeur général de MSF. Nous avons essentiellement soigné des gens qui se sont blessés en retournant dans les décombres de leur maison. »

Abandonnons donc cette mythologie : l’euro que nous donnons ne va être employé, au mieux, que au minimum dans les trois mois, et de plus en plus dans les cinq ans (!) qui suivront notre geste.

Restent des questions aprement débattues actuellement. Numéro un, quel rôle reste aux ONG si elles ne peuvent plus prétendre auprès de leurs donateurs « aller sauver les petits nenfants » ?
La Croix-Rouge propose de financer de longues opérations de développement, concrètement des créations de villages pour reloger les sans-abris, sur cinq ans. Outre les problèmes politico-économiques (les terrains sont pris dans des espaces qui existent, avec des voisinages, et le choix des réfugiés qui ne peut être le seul fait des ONG est potentiellement soumis à un arbitraire local difficile à déterminer, et enfin : relogement ou déplacement opportuniste de population ?), d’autres se demandent si l’urbanisme et la reconstruction sont du ressort de donneurs occidentaux ou des états et des communautés locales. MSF pose la question sur un ton polémique :

« Si la Croix-Rouge était spécialisée dans le BTP, cela se saurait. Ce n’est pas parce que vous avez dix fois plus d’argent que vous êtes plus compétent. »

Pour MSF, la valeur des ONG se situe dans l’entre-deux, après les premières heures de la catastrophe, lorsque l’on peut soulager les souffrances physiques et économiques, mais pas sur le long terme, qui est une affaire de politique et pour lequel gouvernement locaux et grands donneurs occidentaux doivent prendre leurs responsabilités.

Autre débat, l’influence de l’aide sur la société locale. C’est un secret un peu honteux dont on ne se vante pas, mais de nombreuses actions soit d’ONGs soit de l’ONU en Afrique ou en Asie ont créées plus de problèmes qu’elles n’en ont résolues. Une famine annonçée à tel endroit ? On expédie 500 tonnes de surplus alimentaires. Or, la région voisine possède une agriculture, que la présence de surplus mal évalués (et comment le seraient-ils ? — un cargo met quatre, six semaines à arriver) va ruiner en faisant chuter les cours. Préfèrera-t-on envoyer de l’argent pour acheter sur place ? Les prix des fournisseurs vont miraculeusement augmenter en quelques semaines, paupérisant une partie de la population déjà fragilisée par les disettes.
Le Monde : L’examen de conscience des humanitaires

[Les ONG] « dépensent beaucoup pour leurs activités mais également pour leur personnel, ce qui provoque une augmentation du prix du carburant, du ciment, des véhicules, de la nourriture ». Sans parler de la rivalité entre ONG sur le terrain.

Plus polémique et à prendre avec recul, dans l’Express :

Pour Guillaume Kopp, ancien chef de mission d’Action contre la faim à Sri Lanka, le tsunami était «une catastrophe sans crise humanitaire». Il n’a pas été entendu, affirme-t-il, par son organisation. «On nous a envoyé des biscuits nutritionnels dont, nous l’avions dit, nous n’avions pas besoin. Mais, médiatiquement, le don d’un paquet à des mains qui se tendent, c’est une image forte…»

Autre effet pervers, « la reconstruction exacerbe les violations des droits de l’homme préexistantes ». Une ONG a besoin d’agir « vite » et bien, pour rassurer ses donateurs. Un permis de construire, un terrain, la validation d’un appel d’offre nécessitent des démarches administratives en tout genre. Délicat de dénoncer au même moment ce qui se passe sur le front de la politique intérieure, ou les conditions d’attribution de telle ou telle aide…

Enfin, la question la plus actuelle, peut-on réaffecter des sommes en surplus destinées à une catastrophe particulière ? Là encore, la Croix-Rouge Française répond non, estimant que ce serait une trahison de la confiance des donateurs, tandis que MSF s’y montre plutôt favorable, estimant que les humanitaires sont parfois plus conscient des nécessités de l’aide à l’échelle de la planète. Cette dernière position, très critiquée initialement, est soutenue par de plus en plus d’ONG (Médecins du Monde a opéré un revirement remarqué sur le sujet en juillet 2005).

Comment aider efficacement et avec éthique ? Comment ne pas servir d’alibi à des régimes corrompus et notoirement désintéressés par leurs populations les plus fragiles, ni à des gouvernements occidentaux refusant presque tous (Etats-Unis ! France ! Japon !) de tenir leurs promesses d’aides pourtant modestes (même si l’aide pour le tsunami de décembre 2004 fait exception, première historique) ? Comment être professionnels sans être inaccessibles et hautains ? Comment dire la vérité sans s’aliéner des donateurs bercés par une mythologie romantique de l’aide ?
Ce sont quelques uns des enjeux irrésolus de l’aide humanitaire aujourd’hui.

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