Pour Michel
C’était le sport national en septembre, dire du mal de Michel Houellebecq. Un retour de bâton trop prévisible faisant suite à plusieurs années d’exposition inutile. Car effectivement, Houellebecq n’est pas un grand auteur universel. Il n’est même pas un grand auteur, d’ailleurs, juste un écrivain qui a réellement quelque chose à dire — luxe qui le rend précieux dans ce pays par les temps qui courent. Quant à la bienséance de ce qu’il a à dire, on parle d’un roman, non ? What the fuck ? Ceux qui veulent du pudique et du « positif » ont un large choix d’alternatives.
Les 150 premières pages de La possibilité d’une île sont atroces. Houellebecq y remixe ses trois précédents romans, sans innovation ; il y joue l’insupportable rôle de l’adolescent (quadragénaire) ultra-dépressif parce que la société est dégueulasse, et s’invente un alter ego de papier, haineux et à qui tout réussit. Les piques sont amusantes, comme peut l’être l’auto-dérision d’un comique sur son impuissance sexuelle. Tirer à vue sur la prose de Nabokov quand on écrit comme un lycéen besogneux, ça a un panache décalé, mais si c’est pour tresser des louanges au premier degré aux perspectives métaphysiques de l’oeuvre d’Agatha Christie dix pages plus loin, ça fait surtout factice. Bref.
Et puis — mais il faut avoir lu sans préjugés La possibilité pour s’en rendre compte — vers la 150ième page, un petit miracle se produit. Michel Houellebecq se rappelle qu’il a quelque chose à dire. Quelque chose comme une vision (désespérée, et alors ?) du monde. Il se rappelle que les petites esbrouffes qui ont fait son succès n’ont de sens qu’en illustration d’une véritable histoire et d’un véritable exposé romanesque. Alors, merveille !, son héros devient un être humain, parfois même tendre ! et désormais capable de sens critique envers lui-même. Et la narration devient intéressante. Et les wagons se raccrochent à ce qui devient un vrai, beau, drôle, et majeur roman de Michel Houellebecq.
Oui, Houellebecq a des idées bizarres, son héros a des idées bizarres (c’est bien le seul écrivain pour lequel je pense que la sacro-sainte règle de mes professeurs de français — le narrateur n’est pas l’auteur — est bien trop sophistiquée), mais le Roman sert à ça (je radotte, du moins sur ce blog), « territoire de la suspension du jugement moral », lieu de confrontation sans préjugés — d’empathie — avec la pensée de l’Autre. Et, comme me le signalait Simon, c’est aussi, pour ceux qui le veulent ainsi, simplement un bon roman d’anticipation, et passionnant avec ça.
A partir de la 150ième page, ajoutais-je.