Septième Ciel
C’est une histoire formidable qui met en émoi la blogosphère américaine depuis une semaine. Et qui en dit long, à nouveau, sur le concept du webloggueur-comme-journaliste.
Tout commence par l’article terrifiant d’une journaliste américaine : montée dans un avion reliant Detroit à Los Angeles, elle s’aperçoit avec horreur que 14 arabes, prétendument un groupe de musique traditionnelle syrienne, sont installés dans les sièges environnants, et qu’ils ont durant le vol un comportement quelque peu intriguant, monopolisant les sanitaires et se réunissant dans les couloirs de l’habitacle. En conclusion, prenant pour référence Ann Coulter, l’éditorialiste américaine bien connue pour la nuance et la vérifiabilité de ses propos, la journaliste émet l’hypothèse culminante que ces syriens auraient pu s’entraîner à monter une bombe en vol :
Je me pose la question : si 19 terroristes ont pu [le 11 septembre 2001] apprendre à piloter des avions de lignes pour les précipiter sur des constructions, 14 terroristes ne pourraient-ils pas apprendre à jouer d’instruments de musique ?
Il faut lire l’article, c’est écrit avec une grande maîtrise des effets de style, on en sort tout tremblant.
Ce qui devient drôle, c’est que la blogosphère US se lance immédiatement dans des débats interminables au sujet des mesures de sécurité défaillantes sur les vols intérieurs et du « sacrifice de la sécurité nationale au nom du politiquement correct ». Bien entendu, personne ne songe à vérifier les faits, sinon avec Google.
Jusqu’à mercredi dernier, où un éditorialiste conservateur prend son téléphone et déniche le responsable artistique d’un casino de San Diego qui a bel et bien organisé le concert : les terroristes étaient… des musiciens, leur groupe accompagne une star syrienne qui voyageait en première classe.
Vous avez vu Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder ? C’est peut-être la comédie la plus drôle de tout le cinéma américain : deux musiciens fauchés (Tony Curtis et Jack Lemmon) s’engagent dans un orchestre de femmes pour fuir un groupe de gangster et se déguisent en minettes inconséquentes. La vie de l’orchestre en tournée vaut le détour.
Voilà donc l’histoire, aisée à reconstituer : un orchestre folklorique traverse l’Atlantique puis les Etats-Unis de part en part pour donner un concert. La correspondance à Detroit s’est éternisée, peut-être ont-ils un peu abusé sur la bière, toujours est-il qu’à peine l’avion décollé ils se précipitent aux toilettes pour soulager leur vessie. Très probablement, il ne parlent pas ou pas bien anglais, et de toutes façons ils ne vont pas déranger les autres voyageurs qui lisent le journal ou tentent de dormir. Ils se réunissent donc au seul endroit où une douzaine de personnes réparties dans un avion peuvent se rassembler : dans le couloir près des toilettes. Enfin, le décalage horaire commence à faire sérieusement effet, les traits du visage sont tirés par la fatigue, leur donnant un air peu amène.. dans un pays où le simple fait d’être de complexion matte fait de vous un suspect.
L’avion se posera sans encombres à LAX.
L’histoire devrait se terminer là ? C’est sans compter sur notre éditorialiste conservateur :
Mais plutôt que de faire atterrir l’appareil à Las Vegas ou Omaha, on l’a autorisé à poursuivre son vol jusqu’à L.A. sans interruption, comme si tout allait parfaitement bien à bord. Ce qui n’était absolument pas le cas. S’il s’était agit d’une vraie menace, et que les musiciens avaient été en réalité des terroristes, rien ne les aurait empêché de prendre contrôle de l’appareil ou d’assembler une bombe dans les sanitaires.
C’est une conclusion tout à fait formidable et exemplaire : « ok, finalement j’avais tort, mais imaginez si j’avais eu raison ?! (roulement de tambour) ».
Ces gens ne sont vraiment pas très sérieux.
Mise à Jour : les lecteurs de Salon réagissent à l’affaire :
Muslims perform ablutions before praying — one simply goes to the bathroom to wash. Muslims pray five times a day. I’ve taken the Northwest Detroit-L.A. flight many times, and it’s nearly five hours long. Undoubtedly one of the daily prayer times fell during the flight. Most likely, the men all reminded each other that it was time to pray.
I can picture the Syrian musicians watching the entire plane wig out, Annie and her husband included … no wonder the new friend in the yellow T-shirt presented her with a stone face when she smiled at him. In reality, her « friendliest smile » must have looked like a petrified rictus. These men, all cleared by Customs and granted permission to board, spent 4.5 hours of their lives on an airbus full of freaks. Welcome to America.
I understand the unease she felt; fear is not rational. But after fear gives way to reason (perhaps at the end of an uneventful flight), the rational response is usually, « Oops! False alarm, » and let it go. Instead, she brewed up an entire article trying to justify what turned out to be a groundless fear. Is it too late to add rationalizing as an Olympic sport?
As a musician who has spent a lot of time on planes with bands ranging in size from four to 20 pieces, I’d like to share my reaction. As I read the story I began chuckling, then proceeded to laugh hysterically. The behavior of the Syrian musicians sounds like every band I’ve ever traveled with. We check in together, but board separately, nod to each other as we pass (or not), interact with other passengers (or not), congregate in the aisles, visit the bathroom a lot, etc.
Do they have any recordings available?
Wait, don’t tell me: Those 14 Syrian musicians turned out to be Linda Ronstadt’s band!