Souvenir
C’est la seule réunion de famille, en bonne et due forme, dont j’ai conservé le souvenir. Mon père, ma mère, peut-être mon frère, et moi-même autour de la table du salon devant Le Parisien ouvert en pages 2/3. Nous habitons à Garges-lès-Gonesse, Val-d’Oise, et nous sommes en 1988, ou 1989, ce qui doit me faire 13 ans.
La commune a eu son heure de gloire dans les journaux télévisés hier soir : aux Doucettes (je crois), un adolescent, appelons-le Bruno — à Garges-les-Gonesse en 1989 tous les jeunes qui ne s’appellaient pas Rachid se prénommaient Bruno — a été agressé hier par deux voyous qui l’ont aspergé d’essence et l’ont laissé les deux mains brûlées.
C’est littéralement à côté. Le collège (sa version en préfabriqués depuis que le précédent a été réduit en cendres) se situe dans ledit quartier. Il est temps de Prendre Conscience. Bien sûr Papa n’emploie pas ces mots-là, mais c’est mon seul souvenir que nous ayons jamais analysé en famille l’actualité, rassemblés autour du journal, comme la famille Ingalls à la télévision.
Alors je ne vois pas bien en quoi ça me concerne, un grand dadet de 16 ans qui vit dans un HLM lumpenprolétarien et qui choisit mal ses fréquentations, mais comme je ne suis pas un enfant contrariant je Prends Conscience que certains comportements, ou certains jeunes, sont dangeureux (j’ai oublié les détails) et j’enregistre, jusqu’à aujourd’hui.
Deux jours plus tard, la presse nous apprenait que Bruno n’avait pas été aggressé. Bruno avait tenté de faire démarrer une mobylette volée et s’était brûlé les mains dans la manipulation.