Les plus mals chaussés
Le Soulier de Satin, donc. J’y suis allé plein de bonne volonté, porté par la réputation quasi-mythologique de la pièce et la promesse avancée par le nom de Jeanne Balibar, actrice exquise s’il en fut. Je n’ai qu’une conclusion : quel emmerdemment !
Et pourtant, la mise en scène, ingénieuse, et l’interprétation, incarnée, sont sans défauts… ce qui déporte sur le texte abscons de Claudel toute la faute et toute ma mésestime. Thuriféraires de Claudel, vous avez déjà lu la pièce ; professionnels de la profession théâtrale, vous aimez l’idée d’une performance de dix heures de représentation et celle, baroque, de la scène comme représentation complice du monde.. le Soulier est pour vous et vous parlera. Tous les autres, évitez cette langue boursouflée (poétique, disait-on à l’époque), ces enchaînements incompréhensibles, ces personnages incohérents, ce catholicisme pesant dont Claudel n’a retenu qu’un mysticisme furieux et un papisme borné (situer, même vaguement, sa pièce à l’époque de la Contre-Réforme et n’y placer que des certitudes et des professions de foi, mon Dieu !..), ces interludes comiques d’une démagogie affligeante (certaines aigreurs contre la langue, les traditions de la culture ou l’enseignement ne dépareraient pas, expurgées de leurs mots de plus de trois syllabes, sur TF1), cet étirement enfin…
Avoir été pétainiste, passe encore, se piquer d’écrire du théâtre, pourquoi pas, mais allonger sur dix heures ce que l’on pourrait énoncer en deux, parce que l’on traite chaque réplique comme un monologue de vingt minutes de prose poétique, il y a là une offense consciente au spectateur « de base », point spécialiste de la chose théâtrale, ostensiblement méprisé. Découper en quatre journées (dont, il faut le reconnaître, la première se laisse agréablement vivre) ce qui ne constitue en définitive qu’une unique histoire, quel gâchis…
Paul Claudel avait certainement un message à faire passer (selon Nabokov, la plus exécrable des littératures, soit dit en passant), peut-être un beau message moderne, mais il perd même le plus désireux de ces spectateurs en cours de route (en tous cas de ceux, à l’œil innocent, qui ne sont pas sectateurs de son culte). C’est assez triste, au fond.