Michel Foucault voulait être un artificier, un archéologue, un géologue. Que reste-t-il aujourd’hui de cette ambition ? J’ai bien peur, aussi cruels que de tels mots paraîssent, que Foucault ne soit parti au bon moment. C’est sa virtuosité tourbillonante qui lui survit aujourd’hui, ainsi que son culte dans le champ tout de même très restreint des gender studies. Pourtant, quelle pensée — et quelle parole — mémorables ! Je suis bien en peine d’identifier au XXème siècle une tête mieux faite, plus pertinente ou plus claire. Chaque mot écrit ou prononcé par Foucault est une jubilation libertaire, au sens le plus frais du mot, une négation lumineuse du repli, de Marx, de Cioran, du triste monde intellectuel d’aujourd’hui et d’hier. Au fond, je crois que Foucault n’aurait pas été sans éprouver un soupçon de sympathie pour ce trublion indécodable qu’est Michael Moore.
Le Point a publié récemment une interminable interview de Michel Foucault datant de 1975, dans laquelle je ne suis pas parvenu à débusquer un seul mot compliqué, à mon grand dépit. J’en cite quelques extraits.
Qu’est-ce que c’est, être fou ? Qui en décide ? Depuis quand ? Au nom de quoi ? (…) Comment si peu de savoir peut-il entraîner tant de pouvoir ?
Il s’agit de parvenir à quelque chose d’absolument transparent au niveau de ce qui est dit, avec tout de même une espèce de surface de chatoiement qui fasse qu’on ait plaisir à caresser le texte, à l’utiliser, à y repenser, à le reprendre. C’est ma morale du livre.
Il faut rappeler que le pouvoir n’est pas un ensemble de mécanismes de négation, de refus, d’exclusion. Mais il produit effectivement. Il produit vraisemblablement jusqu’aux individus eux-mêmes. L’individualité, l’identité individuelle sont des produits du pouvoir. C’est pour cela que je m’en méfie, et que je m’efforce de défaire ces pièges.
Le savoir, pendant des siècles, disons depuis Platon, s’est donné comme statut d’être d’une essence fondamentalement différente du pouvoir. Si tu deviens roi, tu seras fou, passionné et aveugle. Renonce au pouvoir, renonce à l’ambition, renonce à vaincre, alors tu pourras contempler la vérité. (…) A présent, au contraire, ce qu’on interroge, c’est la position des intellectuels et des savants dans la société, dans les systèmes de production, dans les systèmes politiques. Le savoir apparaît lié en profondeur à toute une série d’effets de pouvoir. L’archéologie, c’est essentiellement cette détection. (…) La vérité a du pouvoir.
Les histoires que je fais ne sont pas explicatives, elles ne montrent jamais la nécessité de quelque chose, mais plutôt la série des enclenchements par lesquels l’impossible s’est produit et reconduit son propre scandale, son propre paradoxe, jusqu’à maintenant.
www.theory.org.uk : What’s interesting about Michel Foucault?
Old models of power, which includes the older versions of newish things like feminism, would always tend to argue that power was held exclusively by dominant groups in society — for Marxists, power could only be exercised by the rich ruling class who owned the means of production; and for feminists, power was something held by men. These kinds of models would also have to rely on stable and clear-cut ideas of identities: no confusions as to whether people are ruling class or workers, male or female, straight or gay. Foucauldian work runs against all this, suggesting that it’s silly to reckon that power will somehow be possessed by certain people and not at all held, in any way, by others.
et le Foucault’s Paris Tourist Guide.
Mise à jour : GM nous signale un beau dossier récent sur Foucault dans Libération. J’aime beaucoup l’extrait suivant de cet article :
Renoncer à faire sauter quelques têtes parce que le sang gicle, parce que ça ne se fait plus chez les gens bien et qu’il y a risque, parfois, de découper un innocent, c’est relativement facile. Mais renoncer à la peine de mort, en posant le principe que nulle puissance publique (pas plus d’ailleurs qu’aucun individu) n’est en droit d’ôter la vie de quelqu’un, voilà qu’on touche à un débat important et difficile. Se profile aussitôt la question de la guerre, de l’armée, du service obligatoire, etc.