The soul of wit

The soul of wit

Dans le Contre Sainte-Beuve, ensemble d’idées éparses qui mèneront à la Recherche du Temps Perdu et qui ne sont publiées que très postérieurement au décès de Marcel Proust, l’auteur démarrait l’une des premières sections comme ceci :

Au temps de cette matinée dont je veux fixer, je ne sais pourquoi, le souvenir, j’étais déjà malade, je restais levé toute la nuit, me couchais le matin et dormais le jour. Mais alors était encore très près de moi un temps, que j’espérais voir revenir, et qui aujourd’hui me semble avoir été vécu par une autre personne, où j’entrais dans mon lit à dix heures du soir et, avec quelques courts réveils, dormais jusqu’au lendemain matin.

Comme on le sait, ces deux phrases deviendront cet incipit fameux, celui du premier volume de son roman, Du côté de chez Swann :

 Longtemps, je me suis couché de bonne heure.

Il n’y a probablement rien à ajouter sur l’intérêt de la brièveté en littérature (et activités approchantes).

The Zombies

The Zombies

Odessey & Oracle est sorti il y a 45 ans et 5 jours. Si vous n’avez jamais écouté le chef-d’oeuvre des Zombies, c’est une raison qui en vaut une autre de combler cette lacune.

Et au XXIème siècle Rod Argent et Colin Blunstone, les deux anglais les plus élégants de la pop, continuent, la soixantaine bien entamée, de nous livrer de beaux disques parfaitement écoutables, comme le Breathe Out, Breathe In de 2011 :

Exsonvaldes 2013

Exsonvaldes 2013

Une longue attente récompensée : Exsonvaldes a pu enfin sortir Lights, leur quatrième album, il y a quelques jours. La plupart des chroniques lues jusqu’ici s’intéressent surtout à ce qui change : un peu plus de claviers, à la Phoenix, et trois morceaux en français. A mon sens, c’est pourtant la continuité qui marque ce disque, et en fait une vraie réussite : continuité dans l’exigence des compositions, des arrangements et du son. Résultat de ces efforts : Lights s’ouvre sur une salve géniale de cinq titres imparables, que j’imagine bien volontiers écouter à plein volume sur la route des vacances, dont cette perle :

Conclusion : ici, on sait faire de la pop de haut niveau, touchante et enthousiasmante à la fois.

Exsonvaldes en tournée à Verneuil-sur-Avre (27), Bordeaux, Lyon, Lille et Paris (Nouveau Casino) en mai.

Anticorps

Anticorps

Il ne vous reste que quelques jours, jusqu’à dimanche en fait, pour aller voir l’exposition impressionnante d’Antoine d’Agata (de l’agence Magnum) à Paris. Prostituées du mexique, de Phnom Penh ou des fichiers de police américains, charniers et ruines de Libye ou Palestine, émigrés de Sangatte, visages tordus de douleur et/ou de plaisir, cellules de prisons ou chambres de bordels, l’installation nous plonge dans un espace dont les quatre murs sont couverts du sol au plafond des résultats de plus de vingt ans d’errances radicales aux confins de la violence quotidienne que l’homme inflige à l’homme. Ce n’est pas pour tout le monde, mais cela n’a rien à voir avec bien des « propositions » fadasses, qu’elles soient conceptuelles ou photographiques, des galeries parisiennes.

face à l'oppression que génère l'abondance d'images stéréotypées, et leur démultiplication par les industries culturelles, face à cette pornographie généralisée, vivre devient le seul enjeu

Une oeuvre qui évoque discrètement certaines des plus pertinentes fulgurances de Guy Debord, et se place sous la tutelle plus visible de cette citation de Michel Foucault, en exergue du programme fourni à l’entrée :

« La marge est un mythe.
Cette illusion de croire que l’extrême nous parle à partir d’une extériorité absolue…
Rien n’est plus intérieur à notre société, rien n’est plus intérieur aux effets de son pouvoir que la violence.
Autrement dit, on est toujours à l’intérieur. »

Rock and Roll Will Never Die

Rock and Roll Will Never Die

Waging Heavy Peace coverWaging Heavy Peace est un petit plaisir coupable — pour Neil Young, et pour son lecteur. Les anecdotes s’y enchaînent sans structure, sautant les décennies et les sujets au gré de l’esprit de son auteur, avec un style et une candeur délicieuses. Un chapitre sur les modèles réduits de train suit un chapitre sur l’enregistrement sous substances d’un album des 70s, qui lui-même suit un chapitre sur le projet Pono dans lequel Young engloutit plein d’argent pour essayer de remplacer/améliorer le format mp3 par quelque chose de plus fidèle aux meilleures conditions d’écoute dans les studios d’enregistrement. Tout ça est sans queue ni tête, ce qui garantit assez peu d’interférences d’un écrivain professionnel, mais souvent émouvant car le Loner n’a pas toujours eu une vie facile et reste assez lucide quand sa propre stupidité en fut parfois la cause. Le privilège de ce livre est de vous laisser passer un moment avec un bon copain, par ailleurs immense star, qui évoquerait avec gourmandise sa vie et ses passions dans un rade du sud de la Californie autour d’une limonade (Neil Young est sobre désormais).

En quelques mots : une lecture sympathique pour les fans de longue date et ceux qui (comme moi) continuent de découvrir la carrière protéiforme d’un des plus grands du rock, certainement le plus sincère dans son dévouement à la musique. Je ne peux pas le confirmer, mais on m’a fait savoir que la version traduite en français est catastrophique, ce qui me paraît crédible étant donné le style éminemment idiosyncrasique du livre ; VO recommandée donc.

Une fois accepté cette option de non-linéarité biographique ou même thématique, le défaut du livre est assez logiquement l’absence de vision chronologique et globale de l’oeuvre de Young, et pour ceux qui recherchent plutôt cela je ne peux que recommander ce beau tour d’horizon en deux partie sur The Liminal : Walk On : Neil Young — From the Buffalo to the Pill.

« Clementine », tiré de Americana, l’album de reprise de chansons traditionnelles sorti avec Crazy Horse en 2012 :

We The Common

We The Common

La constance dans l’évolution est sans doute l’une des plus grandes satisfactions que l’on peut ressentir lorsqu’on est un fan. Spoon vient à l’esprit, peut-être Low si l’on est prêt à pardonner quelques étrangetés, mais la belle évolution que je veux évoquer ici est celle de Thao Nguyen.

Je me remémore comme d’un privilège d’avoir commandé son premier album folk timide mais prometteur, aimable jusque dans ses défauts de jeunesse, il y a 8 ans. Soutenue par Laura Veirs et Tucker Martine (des encouragements qui inspirent le respect), elle regroupa ensuite autour d’elle un véritable groupe et signa deux albums vibrants, extatiques et assumés, émergeant de sa chrysalide en singer-songwriteuse solaire, meneuse et rockeuse.

En 2013, Thao & The Get Down Stay Down sort le superbe We The Common, toujours plus maîtrisé musicalement (comme Laura Veirs, quelle guitariste !), mais mariant cette impeccable énergie avec une conscience de soi et un engagement dans la société inédits, à l’écoute de ses constituants les plus fragiles : les femmes prisonnières, auxquelles Thao consacre du temps. Avant tout de la musique de haut vol :

Et avouons-le : l’expression « rock n’ roll » ne signifie pas prendre le thé avec grand-mère ; il y a dans le son amplifié — dans le meilleur des cas — une sensualité très directe, une sublimation du désir et une simulation de sa consommation parfois plus pérenne de la vraie chose. Il me reste du dernier (seul?) passage de Thao & The Get Down Stay Down à Paris, en 2010, l’émoi délicieusement flou d’un tourbillon de musique ancré sur une guitare électrique et une incroyable paire de bottes Santiag.

Ivan & Alyosha

Ivan & Alyosha

Ils ne sont pas russes, et aucun des membres du groupe ne s’appelle Ivan, ni Alyosha. Ça semble être une nouvelle mode (qui nous change des noms d’animaux). (Ça vient des Frères Karamazov, si vous vous posiez la question.)

Les morceaux sont très beaux et la voix du chanteur, qui monte dans un registre peu fréquenté dans l’indé, me touche beaucoup. Mais ce qui est vraiment admirable c’est la constance de leur premier album, où des perles comme celle-ci s’enchaînent jusqu’au dernier titre.

Ils semblent assez peu connus. Je les ai découvert, intrigué par leur nom, via NPR First Listen, qui streame plusieurs nouveaux albums par semaine (chacun pendant quelques jours). Récemment, le Wall Street Journal constatait que la branche musique du site de la NPR est entrain de devenir incontournable pour la plupart des artistes nord-américains, ce qui fait plaisir : c’est après tout la radio publique américaine, et leurs choix font preuve d’une rare pertinence que la presse papier (ayant largement cédé toute indépendance devant les intérêts publicitaires) et les webzines (souvent plus soucieux de leur crédibilité à Williamsburg/Austin/Portland que de partage) peuvent leur envier.

Loud, quite loud

Loud, quite loud

C’est mon autre album très attendu en ce début d’année : celui des Savages. Ces quatre jeunes femmes arrivent avec un post-punk épileptique, mi-glaçant mi-brûlant, tiré au cordeau, et à peu près impossible à esquiver. Mention spéciale à la basse de Ayşe Hassan, qui claque comme rarement.

Ecoutons leur nouveau titre, She Will ; le précédent n’était pas mal également.

Le 13 mai au Botanique à Bruxelles, et le 6 juin à la Maroquinerie à Paris.