Compilation n°7

Le temps de réaliser la pochette et d’ici quelques jours je propose ma nouvelle compilation.

En attendant, une rapide découverte, titre par titre et en plusieurs épisodes.

01. Vincent Delerm – Catégorie Bukowsky

Vincent Delerm n’a aucun défaut : pianiste impressionnant, compositeur doué, auteur spirituel, garçon cultivé et modeste, par dessus tout nanti d’un humour dévastateur, et c’est peu de le dire. Vincent Delerm a dans son répertoire assez de chansons inédites (et excellentes) pour enregistrer un deuxième album dès maintenant ; Vincent Delerm a un jeu de scène d’une retenue parfaite ; Vincent Delerm n’est pas une gravure de mode, il a juste suffisamment de charme pour que les filles aient le temps de tomber amoureuses de son cerveau avant de céder à son physique ; Vincent Delerm n’a que 25 ans.

Vincent Delerm m’énerve.

Ce salaud n’aura droit qu’à la quarante-trois secondes sur ma compilation, pas une de plus. Et encore, parce que je suis amoureux de la fille qui dit « ouais » dans la chanson, bien que j’ignore jusqu’à son nom.

02. Daan – 50 %

Dans un pays où la Belgique est considérée comme une grande usine de frites et de bandes dessinées à ligne claire, il était naturel que le premier album de Daan (Profools, 1999) passe totalement inaperçu. Pourtant le chanteur de Dead Man Ray, en s’éloignant temporairement de ses complices adeptes d’alcools forts et de collages expérimentaux, a réalisé un splendide disque de pop fluide, intelligente et accessible.

50%, single imparable aux chœurs ingénieux et à la production léchée, aurait dû résonner dans tous les charts continentaux. L’industrie musicale étant ce qu’elle est de ce côté-ci de l’Atomium, résolvons-nous de bonne grâce à n’être que les possesseurs d’un beau secret bien gardé.

Snob toi-même.

03. Guided by Voices – Back to the lake

A la fin des années 90, tandis que les groupes de stade européens (U2, Oasis…) se jetaient à corps perdu dans la surproduction et les murs de guitare afin de masquer l’assèchement de leur inspiration, Robert Pollard, instituteur dans l’Ohio, et son groupe enregistraient le week-end dans leur garage les mélodies rock les plus ciselées entendues depuis Pete Townshend, tout en ingurgitant des litres de mauvaise bière (ce qui est bien la seule consolation que nous autres eurotrash puissions trouver à cette sombre histoire). Les devoirs à corriger, tout ça, ils ne trouvaient jamais le temps de finir ces chansons qu’ils sortaient telles quelles à raison d’un LP par semaine… et c’était beaucoup plus rock n’roll que tous les Sex Pistols imaginables.

Aujourd’hui, Bob Pollard emmène ses morceaux jusqu’à leur terme (pour mon plus grand bonheur), sa femme l’a quitté, il sort un disque par an, et il est malgré tout tellement beau joueur qu’il parraine ces petits minets des Strokes dans leur dur apprentissage du show-biz, bien qu’ils vendent dix fois plus de disques sur une formule sans génie.

Back to the lake met le feu au poudre, n’a pas de message, est scandaleusement binaire, et vous allez en redemander.

(Album Universal Truths & Cycles, 2002)

Pour Michael Moore

Comme et encore plus que ces précédents films, le Bowling for Columbine de Michael Moore est une franche réussite, drôle, civique, et jamais simpliste. Oui, vous avez bien lu.

Omniprésent la semaine dernière dans les médias français, le réalisateur y est traité avec un mélange (assez usuel) de déférence et de suspicion : si on lui consacre plusieurs pages d’interview, c’est non sans rappeler ses insupportables défauts : par exemple, celui de ne pas être suffisamment simpliste et d’aller au delà de la condamnation pure et simple de la possession d’armes à feu au cours de sa recherche (explicitement dans Le Monde), ou d’habiter dans un bel appartement new yorkais et d’envoyer ses enfants en école privée (Les Inrocks évidemment), tant il est véridique que pour être critique il faut être hors du système. En bref, cette habituelle épidémie du « je suis plus rebelle que toi » bien française.

Certes, la force de Michael Moore ne réside pas dans l’élégance formelle ou dans la puissance d’analyse intellectuelle, certes on se marre comme des baleines toutes les cinq minutes dans ses films (la séquence de l’éleveuse de lapins dans Roger & I !), certes le pathos intervient parfois (les images de vidéo-surveillance du massacre à Columbine), certes Moore est un vulgarisateur qui a infiniment plus de maîtrise des moyens formels que du fond, mais le résultat est là : ses films sont les plus pertinents et les plus marquants sur le « Nouvel Ordre Mondial » qui soient accessibles au plus grand nombre à ce jour.

Interview à Charlie-Hebdo : « Si vous pensez que mon dernier film est une dissertation sur le problème du contrôle des armes, vous vous trompez. Finalement, mon film ne traite pas de ce débat de société. »

Non, finalement Bowling for Columbine dévoile un sujet bien plus souterrain et bien plus fondamental : la peur, celle qu’on instille, celle qui nous réconforte, celle qui nous éloigne, celle que certains fabriquent, d’autres répandent et celle que nous tous acceptons. Celle, évidemment et c’est son intérêt, qui paralyse.

Plus que la déjà fameuse rencontre avec le grabataire Charlon Heston, le vrai climax du film a lieu sans avis préablable, lorsque Michael Moore traverse la frontière et se rend au Canada.. pour se heurter à un mur d’incompréhension réciproque entre lui, l’américain pourtant critique mais dont la peur, hérigée en valeur de société fondamentale, a quand même réussi à contaminer les affects, et des aliens (aux deux sens du terme) que ces automatismes anxiophiles laissent moqueurs.

Enfin, bien sûr et surtout, Bowling for Columbine est un terrible avertissement à la France de 2002, qui se complait dans les mêmes travers, et notamment à tous ceux qui émettent une part de la parole publique. Un avertissement et un brillant exemple à suivre.