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Author: manur

Pour Michael Moore

Comme et encore plus que ces précédents films, le Bowling for Columbine de Michael Moore est une franche réussite, drôle, civique, et jamais simpliste. Oui, vous avez bien lu.

Omniprésent la semaine dernière dans les médias français, le réalisateur y est traité avec un mélange (assez usuel) de déférence et de suspicion : si on lui consacre plusieurs pages d’interview, c’est non sans rappeler ses insupportables défauts : par exemple, celui de ne pas être suffisamment simpliste et d’aller au delà de la condamnation pure et simple de la possession d’armes à feu au cours de sa recherche (explicitement dans Le Monde), ou d’habiter dans un bel appartement new yorkais et d’envoyer ses enfants en école privée (Les Inrocks évidemment), tant il est véridique que pour être critique il faut être hors du système. En bref, cette habituelle épidémie du « je suis plus rebelle que toi » bien française.

Certes, la force de Michael Moore ne réside pas dans l’élégance formelle ou dans la puissance d’analyse intellectuelle, certes on se marre comme des baleines toutes les cinq minutes dans ses films (la séquence de l’éleveuse de lapins dans Roger & I !), certes le pathos intervient parfois (les images de vidéo-surveillance du massacre à Columbine), certes Moore est un vulgarisateur qui a infiniment plus de maîtrise des moyens formels que du fond, mais le résultat est là : ses films sont les plus pertinents et les plus marquants sur le « Nouvel Ordre Mondial » qui soient accessibles au plus grand nombre à ce jour.

Interview à Charlie-Hebdo : « Si vous pensez que mon dernier film est une dissertation sur le problème du contrôle des armes, vous vous trompez. Finalement, mon film ne traite pas de ce débat de société. »

Non, finalement Bowling for Columbine dévoile un sujet bien plus souterrain et bien plus fondamental : la peur, celle qu’on instille, celle qui nous réconforte, celle qui nous éloigne, celle que certains fabriquent, d’autres répandent et celle que nous tous acceptons. Celle, évidemment et c’est son intérêt, qui paralyse.

Plus que la déjà fameuse rencontre avec le grabataire Charlon Heston, le vrai climax du film a lieu sans avis préablable, lorsque Michael Moore traverse la frontière et se rend au Canada.. pour se heurter à un mur d’incompréhension réciproque entre lui, l’américain pourtant critique mais dont la peur, hérigée en valeur de société fondamentale, a quand même réussi à contaminer les affects, et des aliens (aux deux sens du terme) que ces automatismes anxiophiles laissent moqueurs.

Enfin, bien sûr et surtout, Bowling for Columbine est un terrible avertissement à la France de 2002, qui se complait dans les mêmes travers, et notamment à tous ceux qui émettent une part de la parole publique. Un avertissement et un brillant exemple à suivre.