Amoureux d’Anne Frank

Qui n’a pas été amoureux d’Anne Frank à quatorze ans n’a pas de cœur, rêvait-il, se rappelant de ses séjours à Amsterdam avec un mélange d’horreur et de mélancolie indémêlable. Il imaginait volontiers sa vie ayant pris un tour tout autre, vivant une histoire d’amour avec ces new-yorkaises aux cheveux bruns, peut-être une Shoshanna, peut-être violoniste. Marié, et pourquoi pas converti. Il s’enivrait d’un voyage improbable à Vilnius, sur les traces d’un arrière-arrière-grand-oncle rabbin et fameux, et croyait presque sentir l’odeur d’encens rance de vieilles synagogues lituaniennes miraculeusement préservées par les désastres modernes.
Plus loin, rue des Nonnains d’Hyères, tout cela se dissipait à mesure que la Seine se précisait en contrebas. La vue d’une chevelure blonde et d’une robe à fleur très parisienne le rappelaient à une psycho-géographie plus rationnelle. Il s’engouffrait dans le métro le cœur allégé, emportant avec lui la possibilité enivrante d’une vie différente, le cadeau inépuisable de cette ville.