octobre 2002
Tracklist
- Vincent Delerm - Catégorie Bukowsky
- Daan - 50 %
- Guided by Voices - Back to the lake
- Beth Orton - Daybreaker
- Chokebore - Little Dream
- Serge Gainsbourg - Les femmes c'est du chinois
- Dominique A - En secret
- Rufus Wainwright - La complainte de la butte
- Jeanne Moreau - Embrasse-moi
- Melon Galia - L'épaisseur d'un cheveu
- Vive La Fête - AAA
- Britney Spears featuring The Neptunes - I'm a slave 4 u
- Sondre Lerche - All luck ran out
- Enon - Natural Disasters
- Exsonvaldes - Postslowrock
- Shannon Wright - Familiar Settings
- An Pierlé - Nebraska
- Jérôme Attal - Les petits doigts de pied de la mélancolie
- Dominique A - Le commerce de l'eau
- dEUS - Nothing really ends
Piste à piste :
01. Vincent Delerm - Catégorie Bukowsky
Vincent
Delerm n'a aucun défaut : pianiste impressionnant, compositeur doué,
auteur spirituel, garçon cultivé et modeste, par dessus tout nanti d'un
humour dévastateur, et c'est peu de le dire. Vincent Delerm a dans son
répertoire assez de chansons inédites (et excellentes) pour enregistrer
un deuxième album dès maintenant ; Vincent Delerm a un jeu de scène
d'une retenue parfaite ; Vincent Delerm n'est pas une gravure de mode,
il a juste suffisamment de charme pour que les filles aient le temps de
tomber amoureuses de son cerveau avant de céder à son physique ;
Vincent Delerm n'a que 25 ans.
Vincent Delerm m'énerve.
Ce salaud
n'aura droit qu'à la quarante-trois secondes sur ma compilation, pas
une de plus. Et encore, parce que je suis amoureux de la fille qui dit
« ouais » dans la chanson, bien que j'ignore jusqu'à son nom.
02. Daan - 50 %
Dans
un pays où la Belgique est considérée comme une grande usine de frites
et de bandes dessinées à ligne claire, il était naturel que le premier
album de Daan (Profools, 1999) passe totalement inaperçu.
Pourtant le chanteur de Dead Man Ray, en s'éloignant temporairement de
ses complices adeptes d'alcools forts et de collages expérimentaux, a
réalisé un splendide disque de pop fluide, intelligente et accessible.
50%,
single imparable aux chœurs ingénieux et à la production léchée, aurait
dû résonner dans tous les charts continentaux. L'industrie musicale
étant ce qu'elle est de ce côté-ci de l'Atomium, résolvons-nous de
bonne grâce à n'être que les possesseurs d'un beau secret bien gardé.
Snob toi-même.
03. Guided by Voices - Back to the lake
A la fin des années 90, tandis que les groupes de stade européens (U2, Oasis...)
se jetaient à corps perdu dans la surproduction et les murs de guitare afin
de masquer l'assèchement de leur inspiration, Robert Pollard, instituteur
dans l'Ohio, et son groupe enregistraient le week-end dans leur garage les
mélodies rock les plus ciselées entendues depuis Pete Townshend, tout en
ingurgitant des litres de mauvaise bière (ce qui est bien la seule consolation
que nous autres eurotrash puissions trouver à cette sombre histoire). Les
devoirs à corriger, tout ça, ils ne trouvaient jamais le temps de finir
ces chansons qu'ils sortaient telles quelles à raison d'un LP par semaine...
et c'était beaucoup plus rock n'roll que tous les Sex Pistols imaginables.
Aujourd'hui, Bob Pollard emmène ses morceaux jusqu'à leur terme (pour mon
plus grand bonheur), sa femme l'a quitté, il sort un disque par an, et il
est malgré tout tellement beau joueur qu'il parraine ces petits minets des
Strokes dans leur dur apprentissage du show-biz, bien qu'ils vendent dix
fois plus de disques sur une formule sans génie.
Back to the lake met le feu au poudre, n'a pas de message, est scandaleusement
binaire, et vous allez en redemander.
(Album Universal Truths & Cycles, 2002)
04. Beth Orton - Daybreaker
Les rencontres des Chemical Brothers avec Beth Orton nous ont toujours ravies,
celle-ci constituant peut-être même le sommet de l'album Daybreaker. Injecter
une rythmique digne du meilleur r'n'b américain dans les compositions folk
équilibristes de la demoiselle était un pari osé et inattendu, pourtant
joliment réussi.
C'est pas tout ça, mais on dit Bette ou Beffe, alors ?
05. Chokebore - Little Dream
L'emo-core
vénéneuse de Chokebore prend des allures de chef-d'oeuvre mélancolique
avec leur cinquième album It's a Miracle. Tous unis derrière les quatre
hawaiiens, nous disons clairement non à la ségrégation des grosses
guitares d'avec les grands sentiments. Nick Drake n'a pas le monopole
des larmes !
06. Serge Gainsbourg - Les femmes c'est du chinois
Comment reconnaître un con ? Il n'aime pas Gainsbourg.
Cette chanson, c'est une pensée pour celle qui se reconnaîtra ; et pour
les autres c'est (peut-être) la découverte d'une des périodes les plus exquises
du chanteur, le moment de l'histoire de l'art (mineur) que tous les adolescents
complexés devraient avoir en mémoire : merde, bientôt ce type persuadé d'être
moche va coucher avec deux des plus belles femmes du monde... grâce à son
cerveau.
07. Dominique A - En secret
“Je crachais sur hier Comme pour dire
« ça va mieux » Mais c'est dur en crachant D'éteindre un feu”.
La carrière de Dominique A fut chaotique mais on tient enfin son chef-d'œuvre en la
forme d'Auguri, son inépuisable dernier album. Certes il faut aimer la retenue
des effets, la ciselure des textes et la
calvitie
des chanteurs. Mais l'on est alors abondamment récompensé : ce que
Dominique A a abandonné à ses contemporains en arrangements, en
préciosité et en coupage de cheveux en quatre, il l'a investi dans une
écriture unique, sobre et puissante, élégante et malicieuse (la reprise
des Enfants du Pirée de Dalida), énergique et adulte. En bref,
c'est léger et intelligent, et d'ailleurs c'est ma
médaille d'argent.
08. Rufus Wainwright - La complainte de la butte
Avec son style chanson réaliste et son parfum Années Folles, la complainte
est une petite supercherie anachronique. C'est un joli à-la-manière-de
datant de 1955 écrit — excusez du peu — par Jean Renoir pour son film
French Cancan,
et un grand tube de l'après-guerre.
Qui
d'autre qu'un montréalais jeune et insupportablement doué (ça me
rappelle quelqu'un) pouvait en réussir une reprise 50 ans plus tard,
parvenant à conserver cet aspect faussement vieillot et sans sombrer
dans la guimauve ? Pas Bruel malheureusement. Les deux albums de Rufus
Wainwright sont encore mieux, mais je n'allais pas vous priver du
plaisir intense de les découvrir dans leur entièreté, n'est-ce pas ?
Cette interprétation figure sur la bande originale du film Moulin Rouge.
[et ici aussi] [et merci à tehu]
09. Jeanne Moreau - Embrasse-moi
Restons dans le cinématographe avec la chanson du film Peau
de Banane de Marcel Ophuls, présente sur l'album du même nom (qui reçut
un prix de l'académie Charles Cros) et écrite par Bassiak, comme le Tourbillon.
Mais tout cela n'a guère d'importance : lorsque l'on écoute Embrasse-moi,
on a envie de passer à l'acte, de poser ses lèvres sur les bouches de toutes
les jolies filles, d'attendre Madeleine devant le tram 33, d'aller à la
chasse aux papillons, la vie toute entière absorbée par cette affaire, d'emmener
Ada dans les sous-bois, un joli rire de cristal, les soeurs Lisbon et Angela
Chase, un français c'est souvent sentimental, tout ça, tout ça.
[chanson redécouverte grâce au générique
d'un certain site]
10. Melon Galia - L'épaisseur d'un cheveu
Groupe
d'une extrême modestie, Melon Galia est l'auteur d'un discret album de
pop malicieuse couvert de louanges par les connaisseurs. Tout en
nuances, musique et paroles racontent des histoires faussement naïves
d'amitiés et de rencontres, toujours en équilibre sur la mince crête
séparant mélancolie et légèreté.
Une musique à écouter uniquement avec ses meilleurs amis...
11. Vive La Fête - AAA
Fascinant, Vive La Fête l'est à plusieurs titres. Par son look velvetien
en diable, évidemment : entre une Nico revue par la charmante Els, femme
fée attirant tous les regard, Jeroen en travelo gothique aux synthés,
et bien sûr Danny, bassiste exhibitionniste du
plus-grand-groupe-du-monde (pour ceux qui ne suivent pas, vous saurez
bientôt) ici à contre-emploi en guitar-hero dépressif et autiste (vous
avez dit Lou Reed ?). Fascinant pour la drôle d'idée qui consiste à
choisir de chanter dans une langue que l'on ne maîtrise pas, et aussi
(surtout) pour sa persévérance à jouer une musique pop-art, accrocheuse
sur l'instant mais jetable sans états d'âme, en se donnant totalement à
l'instant, à l'énergie perdue — sexuelle — d'un rock d'adolescents
désinhibés et désabusés. "Kitch pop music pour homos, lesbiennes et
autres gens modernes..." définit Danny, ce qui est un peu n'importe
quoi et donc tout-à-fait ça.
12. Britney Spears featuring The Neptunes - I'm a slave 4 u
Well, ce morceau c'est encore Nathalie
en
parle le mieux.
13. Sondre Lerche - All luck ran out
C'est la bonne surprise de l'année écoulée, cette pop sucrée mais pas sirupeuse
provenant du froid norvégien. Sondre Lerche (Son-Ndré Lèr'Ché) a 19 ans,
une tête à être votre meilleur pote, skateur à ses heures, une présence
scénique à peine croyable, le portable plein de numéros de jolies blondes
septentrionales et fluettes qui viennent pousser la chansonnette sur l'album,
et un talent indéniable pour composer de sautillantes mélodies qui mettent
de bonne humeur. La la la la la...
14. Enon - Natural Disasters
Regroupement de fortes personnalités issues d'une nébuleuse incompréhensible
de groupes originaires de l'Ohio (voisins de Guided by Voices, donc), Enon
est l'auteur d'un varié et surprenant album de rock indé intitulé
High
Society, dont Natural Disasters est l'incontestable sommet. Cet album
constitue un patchwork de morceaux redoutables d'efficacité comme seule
l'Amérique sait en produire, dont la
pochette
est à l'image de la musique : un collage de plein de machins hétérogènes
mais drôlement attachant.
15. Exsonvaldes - Postslowrock
La vieille formule du rock (basse, batterie, deux guitares) peut encore
produire de petits miracles comme ces quatre jeunes parisiens prometteurs
(oui, d'accord, c'est des copains, mais je le pense). Non content de pondre
des mélodies à la Radiohead période The Bends sur des riffs à la Pinback
comme si c'était évident dès qu'on a un instrument dans les mains, le grand
talent d'Exsonvaldes est de savoir bousculer un morceau à l'instant précis
où il menaçait de lasser, pour repartir de plus belle et surprendre l'auditeur.
En d'autres termes, jamais une mesure de trop, précepte qui a mené Weezer
et les Pixies où l'on sait.
Postslowrock est un morceau formidable (mon préféré
until now), qui
débute par des coups de cymbale apocalyptiques, enchaîne sur une mélodie
belle à pleurer et s'achève dans une coda tour à tour époustouflante puis
apaisante.
J'en fais probablement un peu trop mais quand on aime...
16. Shannon Wright - Familiar Settings et
17. An Pierlé - Nebraska
Deux jolies filles à la suite pour appuyer la théorie du jour qui est que l'économie
de moyens fonctionne quand on est une jolie fille... euh non, quand on est
sincère. Peu d'instruments donc, mais beaucoup de cœur. L'américaine a de
la classe, elle est envoûtante sur scène et sait composer des chansons, tandis
que la belge a du talent et de l'humour, même s'ils sont en retrait sur un
deuxième album décevant (mais Nebraska provient du premier).
18. Jérôme Attal - Les petits doigts
de pied de la mélancolie
Une sorte de basse d'abord, languide comme un dimanche après-midi, telle une
évidence. Puis les guitares, intimidées mais entêtées, les claviers, tendres
et fermes comme les encouragements d'un père, et les mots de Jérôme, doux
et légers, complices et inspirés.
Voilà comment l'on réalise une grande chanson.
19. Dominique A - Le commerce de l'eau
Je déroge à l'une des règles du compilateur exigeant, à savoir se limiter à
un morceau par artiste. A mon sens, avec
Auguri
Dominique A a fourni matière à inspirer la chanson (rock) française durant
plusieurs années, et un deuxième titre n'est pas de trop pour l'entrevoir.
Le
commerce de l'eau
ne se livre pas facilement : est-ce un récit romantique (au sens Goethien
du terme), une fable post-moderne, une subtile variation anti-globalisation
? Est-ce une chanson douce ou angoissée ? Métaphorique ou expressionniste
?
Un oeuvre forte, définitivement.
20. dEUS - Nothing really ends
Bien qu'ils soient nombreux à tenir la corde le meilleur-groupe-du-monde, en toute
subjectivité, c'est bien dEUS. On touchera du doigt le génie des anversois
en considérant que Nothing really ends est un
single presque secondaire,
destiné à faire patienter une théorie de "fans" épuisés d'attente avant un
album long à venir. C'est pourtant le plus beau morceau de toute la pop de
ces dix dernières années (j'attends les contre-exemples, mais soyez préparé
à ma mauvaise foi), déchirant à tirer des larmes et empreint d'une grâce
à faire trépigner Léonard Cohen de rage dans son monastère bouddhiste.
dEUS en 2002 est intouchable et l'on s'illusionne en priant pour que, oui,
nothing really ends.